Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/292

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temporelle et de se préparer, dans l’autre, par un secret orgueil, d’éternels châtiments ? de souffrir avec Jésus-Christ et de ne point régner avec lui ? de suivre le Sauveur dans sa pauvreté et de ne pas le suivre dans sa gloire ? de boire au torrent pendant la route et de ne jamais lever la tête dans la patrie ? enfin de pleurer maintenant et de ne devoir jamais être consolé ? Mais il n’y a rien de plus juste qu’il en soit ainsi. Qu’est-ce, en effet, que l’orgueil vient faire sous les humbles livrées du Christ ? La malice des hommes n’a-t-elle pas de quoi se parer sans toucher aux langes dont l’enfance du Seigneur se revêtit ? Et puis, comment l’hypocrite arrogance peut-elle venir s’enfermer dans l’étable de Jésus et y remplacer les vagissements de l’innocence par les sourds murmures de la détraction ? Ne trouvez-vous pas que ces monstres d’orgueil, comme parle Feindre la pauvreté c’est commettre deux fautes à la fois. le Psalmiste (Ps. lxxii, 6 et 7), dont l’iniquité semble née de leur graisse, sont mieux cachés sous leurs crimes et leur perversité que nous ne le sommes nous-mêmes sous les dehors d’une sainteté mensongère ? Je ne sache rien de plus mal que de se donner des airs de sainteté quand on n’est qu’un impie ; n’est-ce point, en effet, deux impiétés pour une, que d’ajouter le mensonge à l’impiété ? Mais quoi ? J’ai bien peur d’être suspecté d’un pareil vice, sinon par vous, mon frère, par vous, dis-je, qui me connaissez aussi bien qu’il est donné à un homme, dans les ténèbres de ce monde, d’en connaître un autre, et qui savez parfaitement, je n’en puis douter, quelle est au fond ma pensée sur le sujet qui nous occupe, du moins par ceux qui ne me connaissent pas aussi bien que vous et qui n’ont jamais eu l’occasion de m’entendre comme vous m’avez entendu vous-même. Ne pouvant aller me justifier auprès de tout le monde, je prends le parti de vous écrire ce qui a été bien souvent le sujet de nos entretiens, afin de vous mettre entre les mains le moyen de convaincre ceux qui m’accusent, de la vérité des sentiments que vous me connaissez ; car je ne crains pas de mettre sous les yeux de tous, ce que je vous ai confié dans nos entretiens sur ce sujet.

Chapitre II.

Saint Bernard se justifie et fait l’éloge de l’ordre de Cluny.

4. Qui m’a jamais ouï parler mal de cet ordre, soit en public soit en particulier ? Est-il un seul membre de cet ordre que je n’aie vu avec joie, reçu avec honneur, entretenu avec déférence et exhorté Éloge de l’ordre de Cluny. au bien avec humilité ? J’ai toujours dit, et je le répète, que c’est un ordre saint et honorable qui ne se recommande pas moins par une pureté insigne que par sa grande distinction. Fondé par les Pères et préconçu par le Saint-Esprit lui-même, il est éminemment propre à sauver les âmes. Est-ce condamner ou mépriser un ordre que d’en parler ainsi ? Je me rappelle que plusieurs fois j’ai reçu l’hospitalité dans des monastères de cet ordre, et je prie le Seigneur de récompenser ses serviteurs de l’empressement avec lequel ils ont pourvu, plus généreusement qu’il n’était besoin, aux nécessités d’un pauvre infirme comme moi, et des témoignages de déférence dont ils m’ont honoré beaucoup plus que je ne le méritais. Je me suis recommandé à leurs prières, et je me suis joint à eux dans leurs réunions, souvent même, soit publiquement et en plein chapitre, soit en particulier, dans les cloîtres ; j’ai discouru avec plusieurs d’entre eux sur quel-