Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/293

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ques passages des saintes Écritures, ou sur les choses du salut. Me suis-je jamais permis de détourner personne ouvertement ou en secret d’entrer dans cet ordre, ou d’engager quelqu’un de ses membres à passer dans le nôtre ? Bien au contraire, j’ai plutôt empêché ceux qui voulaient venir à nous d’exécuter leur dessein, et je n’ai point voulu leur ouvrir, quand ils sont venus frapper à ma porte. N’ai-je point, en effet, renvoyé le frère Nicolas à son monastère de Saint-Nicolas[1] ; et à vous-même, mon Père, j’en appelle à votre témoignage, ne vous ai-je point aussi renvoyé deux de vos frères ? Ne pourrais-je pas, si je le voulais, vous citer les noms de deux abbés[2] de votre ordre que vous connaissez très-bien, et qui depuis lors n’ont pas cessé de m’être unis par les liens d’une étroite amitié, que j’ai dissuadés de quitter leur poste, comme ils le désiraient, et se préparaient même à le faire pour entrer dans un autre ordre, ainsi que vous le savez parfaitement vous-même ? Comment donc peut-on penser et dire que je blâme un ordre dans lequel je conseille à mes amis de rester, auquel je renvoie ceux de ses religieux qui le quittent pour venir à moi, dont je réclame avec tant d’ardeur, et reçois avec tant de bonheur les bonnes prières ?

Chapitre III.

La variété des ordres religieux ne doit en aucune façon rompre le lien de la charité.

5. Est-ce que, par hasard, la raison pour laquelle vous me regardez d’un mauvais œil, est que j’appartiens à un autre ordre que vous ? S’il en est ainsi, vous vous trouvez dans un tort tout pareil par rapport à moi, puisque vous n’êtes pas du même ordre que moi. Avec ce principe, les personnes qui ont fait vœu de continence, et celles qui sont engagées dans le mariage, devront se regarder mutuellement comme damnées, puisque, au sein de l’Église, elles suivent les unes et les autres la Il faut conserver l’unité d’esprit dans la diversité des ordres. loi de leur choix. De même les moines et les clercs réguliers se jetteront mutuellement la pierre, parce qu’ils se distinguent les uns des autres par des observances qui leur sont propres. Bien plus, avec votre raisonnement, Noé, Daniel et Job ne sauraient se trouver dans un même royaume, puisqu’ils n’ont point suivi la même voie pour y parvenir, la chose pour nous est certaine ; enfin il faudra dire de Marthe et de Marie ou qu’elles déplurent également au Sauveur, ou que l’une d’elles au moins ne lui plut point, puisque elles ont pris, pour lui être agréables, des moyens si différents. Mais s’il en est ainsi, il n’aura ni paix ni concorde au sein même de l’Église ; car elle renferme une foule d’ordres religieux qui diffèrent les uns des autres, et on pourrait la comparer à cette reine du Psalmiste « qui était parée d’ornements de toutes sortes (Psalm. xliv, 10). » Où trouver un repos assuré et quel état nous offrira une sécurité complète, s’il faut que, quiconque fait choix d’un ordre en particulier, n’ait d’autre alternative que de mépriser tous ceux qui n’ont point choisi le même ordre que lui, ou de se voir l’objet du mépris des autres ? Car enfin, il n’est pas possible au même homme d’entrer dans tous les ordres en même temps, ni à un seul ordre de recevoir tous les hommes. Je ne

  1. Le Nicolas pour qui saint Bernard écrivit la lettre quatre-vingt-quatrième, était un religieux du monastère de Saint-Nicolas du Bois, au diocèse de Laon.
  2. L’un de ces abbés était Guillaume lui-même, comme on le voit par la quatre-vingt-sixième lettre de saint Bernard.