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Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/306

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ceux qui sont bien portants ; on a réglé qu’ils auraient un bâton à la main. La précaution est bonne ; avec ce bâton, il n’est plus nécessaire d’être pâle ou décharné pour paraître malade. Faut-il rire ou pleurer de semblables folies ? Est-ce ainsi que vécut un Macaire ? Sont-ce là les leçons d’un Basile et les institutions d’un Antoine ? Était-ce la manière de vivre des Pères de l’Égypte ? Enfin sont-ce-là les pratiques et les traditions que nous ont léguées de saints religieux, tels que les Eudes, les Maïeul, les Odilon et les Hugues que vous comptez avec orgueil parmi les princes et les maîtres de votre ordre ? Quand tous ces hommes, tout saints qu’ils étaient, ou plutôt parce qu’ils étaient saints, pensaient avec l’Apôtre « qu’on doit se contenter si on a de quoi se couvrir et de quoi manger (I Tim., vi, 8), » nous autres, nous voulons avoir non de quoi manger mais de quoi nous rassasier ; non de quoi nous vêtir, mais de quoi nous parer.

Chapitre X.

Saint Bernard reproche aux Clunistes le luxe des habits.

Cinquième abus : le luxe des habits. 24. Quant aux vêtements, au lieu de prendre pour les faire, les tissus qui peuvent être d’un meilleur usage, on choisit les étoffes les plus légères, celles qui peuvent le mieux, non pas garantir du froid, mais satisfaire l’amour-propre. Ainsi on n’achète pas, comme le veut la règle (Reg. S. Bened., cap. lv), » ce qu’on peut trouver de plus commun, mais ce qu’il y a de plus beau et de plus propre à flatter la vanité. Ô moine infortuné que je suis, qui que je sois, pourquoi ai-je assez vécu pour avoir vu notre ordre tomber si bas, notre ordre, dis-je, le premier des ordres religieux que l’Église ait vus naître, ou plutôt par lequel elle a elle-même commencé, qui approche plus que tout autre ici-bas des ordres des anges et qui ressemble davantage à la Jérusalem céleste notre mère, soit par l’éclat de sa chasteté, soit par le feu de sa charité, qui eut les Apôtres pour fondateurs, et ceux que saint Paul appelle si souvent des saints pour premiers enfants ! Comme parmi eux il n’y en avait pas qui eussent conservé la propriété de leurs biens, on donnait à chacun selon ses besoins (Act., iv, 35), nous dit l’Écriture, et non pas selon ses désirs puérils. Il est bien certain, que là où on ne recevait que le nécessaire, on ne trouvait rien de superflu, encore moins de recherché et certainement rien qui sentît la vanité. « On ne donnait à chacun, dit l’Écriture, que selon ses besoins ; » c’est-à-dire en fait de vêtements, que le strict nécessaire pour couvrir le corps et le garantir du froid. Pensez-vous que ceux à qui « on ne donnait que selon leurs besoins, » portaient des vêtements de galebrun ou d’isembrun[1], avaient des mules du prix de deux cents sous d’or, et étendaient sur leur misérable couche des fourrures de peaux de chats[2] et des

  1. Pierre le Vénérable décide dans son statut xvi « que nul religieux ne pourra porter des vêtements de Gallebrun ou d’Isembrun : » la raison qu’il donne de ce statut, c’est, dit-il, « qu’il y en a beaucoup parmi nous qui se vêtissent comme les gens du monde, d’étoffes de soie grise ou de différentes couleurs. » On voit par là qu’il y avait alors des vêtements de soie grise. Les manuscrits de Corbie parlent d’étoffes de « Pasembrun. »
  2. Le même saint abbé interdit par son statut xvii, l’usage de couvertures de peaux de chats sauvages d’Espagne, et permet à la place, celles « de putois ou de visons. » Précédemment les Clunistes « dédaignant les peaux de chats de France, se faisaient des couvertures en peaux de chats de Numance ou de Zamra. Voir la lettre première de saint Bernard.