Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/307

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couvre-pieds de bouracan[1] de couleurs variées ? Je ne pense pas que là où l’on ne songeait qu’à vivre dans la plus grande harmonie de mœurs et de cœurs et à faire des progrès dans la vertu, on se soit mis fort en peine du prix, de la couleur et de la qualité des vêtements : « Tous les fidèles n’avaient qu’un cœur et qu’une âme (Act, iv, 32), » est-il dit.

25. Où retrouver cette harmonie maintenant ? Tout entiers répandus au dehors, délaissant les seuls biens véritables et éternels en quittant ce royaume de Dieu qui est au dedans de nous, nous allons chercher au dehors de vaines consolations dans mille choses futiles, extravagantes et trompeuses, sans nul soins de conserver encore, je ne dis plus la vérité, mais l’ombre même de la vie religieuse, telle qu’elle existait jadis. En effet, notre habit même, je le dis les larmes aux yeux, notre habit qui était autrefois un signe d’humilité, n’en est-il pas devenu un pour l’orgueil des religieux de notre temps ? C’est à peine si nous nous contentons maintenant des étoffes qu’on fabrique dans nos contrées, les moines se font tailler leur cucule dans la même pièce d’étoffe où l’on a pris de quoi faire un manteau pour un chevalier ; en sorte que les plus gens de qualité du siècle, le roi et l’empereur lui-même ne dédaigneraient pas de porter ces propres vêtements, si la coupe en était mieux en rapport avec leur condition.

La vanité dans les vêtements dénote la vanité du cœur. 26. Après tout, me direz-vous, ce n’est point l’habit qui fait le moine, ce sont les dispositions de son cœur. C’est vrai ; mais quand on vous voit aller d’une ville à l’autre, courir les marchés, parcourir les foires, entrer dans toutes les boutiques, examiner tout ce qu’elles renferment et vous faire dérouler des montagnes d’étoffe que vous appréciez de la main, approchez de vos yeux et considérez aux rayons du soleil, pour acheter de quoi vous faire une cucule, et que vous ne voulez point d’une étoffe qui vous semble ou grossière ou passée, dites-moi, est-ce pure simplicité de votre part, et le cœur n’y est-il pour rien ? Et quand en dépit de la règle, laissant ce qui vous est montré de trop commun, vous choisissez avec beaucoup de goût, ce qu’il y a de plus rare, et par conséquent, de plus cher, est-ce inadvertance de votre part ou calcul ? Ce qu’il y a de certain, c’est que nos vices extérieurs procèdent du trésor de notre cœur. Un cœur vain imprime à notre corps le cachet de la vanité, et la superfluité dans les choses extérieures indique la vanité de nos sentiments intimes. La mollesse dans le vêtement dénote la mollesse du cœur, et on ne prendrait pas tant de soin pour parer le corps, si d’abord on n’avait négligé de parer l’âme de vertus.

Chapitre XI.

Pour quelle raison, les supérieurs ne répriment pas les vices de leurs subordonnés. Saint Bernard leur reproche leur luxe et leur magnificence.

27. Mais quand la règle dit que c’est au supérieur d’avoir l’œil à tous les manquements de ses inférieurs (Reg. S. Bened.. cap. ii), et lorsque le Seigneur lui-même, par un de ses prophètes (Ezech., iii, 18), menace de demander aux pasteurs des âmes, le sang de ceux qui mourront dans leur

  1. Le bouracan fut également interdit par le statut xviii, qui défend à tout religieux « de porter des étoffes de couleur écarlate, de bouracan ou de burel précieux qu’on fabrique à Ratisbonne, d’avoir des pardessus de couleurs variées et de se contenter d’un simple cilice avec deux pardessus blancs et gris. » Les bouracans étaient des nattes de différentes couleurs qui tiraient leur nom du mot barria, barricade.