Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
vi
INTRODUCTION.

de sa main avec une netteté, une exactitude minutieuse, qualités authentiques qu’on n’a pas assez remarquées, sans quoi on eût plus religieusement respecté son ordre et sa marche, son style et sa phrase, qui peut bien être négligée et redondante, mais où rien (je parle des Mémoires et non des notes) n’est jeté au hasard.

Comment cette vocation historique si prononcée se forma-t-elle, et se rencontra-t-elle ainsi toute née au sein de la Cour et dans un si jeune âge ? Et d’où sortait donc ce mousquetaire de dix-neuf ans, si résolu dès le premier jour à transmettre les choses de son temps dans toutes leurs complications et leurs circonstances ?

Son père, sans un tel fils, serait resté un de ces favoris comblés, mais obscurs, que l’histoire nomme tout au plus en passant, mais dont elle ne s’occupe pas. Jeune page, il avait su plaire à Louis XIII par quelques attentions et de l’adresse à la chasse, en lui présentant commodément son cheval de rechange ou en rendant le cor après s’en être proprement servi. Sans doute il avait bonne mine ; il avait certainement de la discrétion et de l’honneur. À la manière dont Saint-Simon nous parle de son père, et même si l’on en rabat un peu, on voit en celui-ci un homme de qualité, fidèle, assez désintéressé, reconnaissant, et, en tout, d’une étoffe morale peu commune à la Cour. Son attitude envers Richelieu est digne en même temps que sensée : il n’est ni hostile, ni servile. On découvre même dans le père de Saint-Simon une qualité dont ne sera pas privé son fils, une sorte d’humeur qui, au besoin, devient de l’aigreur ; c’est pour s’être livré à un mouvement de cette nature qu’il tomba dans une demi-disgrâce à l’âge de trente et un ans et quitta la Cour pour se retirer en son gouvernement de Blaye où il demeura jusqu’à la mort du cardinal. Si j’avais à définir en deux mots le père de Saint-Simon, je dirais que c’était un favori, mais que ce n’était pas un courtisan : car il avait de l’honneur et de l’humeur.