Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[1693]
49
MORT DE MON PÈRE.

Un beau jour il fut leur conter dans leur retraite que le roi, importuné des plaintes de ceux qui se trouvoient enclavés dans les capitaineries royales, alloit rendre un édit pour les supprimer toutes, à l’exception de celles de ses maisons qu’il habitoit et des bois et plaines qui environnoient Paris ; que les leurs alloient donc être supprimées ; que cependant il espéroit cette considération du roi que si elles étoient entre ses mains il les lui conserveroit ; qu’eux-mêmes y trouveroient doublement leur compte, parce que les capitaineries étant conservées, ils en demeureroient toujours les maîtres comme lui-même, pour leurs gens, leur table et leurs amis, et qu’il leur donneroit volontiers deux ou trois cents pistoles pour cette complaisance, quoiqu’il ne fût pas sûr de faire changer le roi là-dessus en sa faveur. Les bonnes gens le crurent, pestèrent contre l’édit, donnèrent la démission à M. le Prince ; qui laissa deux cents pistoles en partant, et se moqua d’eux. Tout le pays, qui vivoit en paix et sans inquiétude dans cette capitainerie, fut outré de douleur. Elle devint une tyrannie entre les mains de M. le Prince, qui l’étendit encore tant qu’il put ; mais il est vrai qu’il laissa ceux qu’il avoit ainsi escamotés les maîtres pour eux et pour leurs domestiques le reste de leur vie.

Mon oncle avoit eu le régiment de Navarre ; il étoit lieutenant général, et avoit emporté le prix de la bonne mine à sa promotion de l’ordre en 1633. Il mourut en 1690, le 25 janvier, et sa femme en avril 1695. C’étoit un fort grand homme, très-bien fait, de grande mine, plein de sens, de sagesse, de valeur et de probité. Mon père l’avoit toujours fort respecté et suivoit fort ses avis pendant sa faveur. La marquise de Saint-Simon étoit haute, intéressée et méchante, et elle trouva le moyen de faire passer la plupart des biens de mon oncle aux ducs d’Uzès, de faire payer à mon père et à moi une grande partie des dettes, et de laisser les autres insolvables. Sa passion étoit de me marier à Mlle d’Uzès, qui a été la première femme de M. de Barbe-