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ORIGINE PREMIÈRE

zieux. Je n’ai pu me refuser ce mot sur mon oncle ; il est bien juste de m’étendre un peu plus sur mon père.

La naissance et les biens ne vont pas toujours ensemble. Diverses aventures de guerre et de famille avoient ruiné notre branche, et laissé mes derniers pères avec peu de fortune et d’éclat pour leur service militaire. Mon grand-père, qui avoit suivi toutes les guerres de son temps, et toujours passionné royaliste, s’étoit retiré dans ses terres, où son peu d’aisance l’engagea de suivre la mode du temps, et de mettre ses deux aînés pages de Louis XIII, où les gens des plus grands noms se mettoient alors.

Le roi étoit passionné pour la chasse, qui étoit sans meute[1] et sans cette abondance de chiens, de piqueurs, de relais, de commodités, que le roi son fils y a apportés, et surtout sans routes dans les forêts. Mon père, qui remarqua l’impatience du roi à relayer, imagina de lui tourner le cheval qu’il lui présentoit, la tête à la croupe de celui qu’il quittoit. Par ce moyen, le roi, qui étoit dispos, sautoit de l’un sur l’autre sans mettre pied à terre, et cela étoit fait en un moment. Cela lui plut, il demanda toujours ce même page à son relais ; il s’en informa, et peu à peu il le prit en affection. Baradas, premier écuyer, s’étant rendu insupportable au roi par ses hauteurs et ses humeurs arrogantes avec lui, il le chassa, et donna sa charge à mon père. Il eut après celle de premier gentilhomme de la chambre du roi à la mort de Blainville, qui étoit chevalier de l’ordre, et avoit été ambassadeur en Angleterre. Il étoit du nom de Warigniés, qui est bon, mais éteint en Normandie, n’avoit point été marié, et étoit frère aîné du père de la comtesse de Saint-Géran, qui a été dame du palais de la reine, et qui a tant figuré dans le monde, femme de ce comte de Saint-Géran, chevalier de l’ordre, de qui l’état fut tant

  1. Les précédents éditeurs ont mis le mot suite ; il est impossible de lire autre chose que meute ou route. Ce dernier mot se trouvant plus bas dans la même phrase, meute a paru préférable.