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DÉPART DU ROI POUR VERSAILLES.

lui en faire autant. « Que veut dire prendre congé ? » lui répondis-je. Lui tout de suite dit à son page et à son palefrenier de le suivre un peu de loin, et m’invita d’en dire autant au mien et à un laquais qui me suivoit. Alors il me conta la retraite du roi, mourant de rire, et malgré ma jeunesse la chamarra bien, parce qu’il ne se défioit pas de moi. J’écoutois de toutes mes oreilles, et mon étonnement inexprimable ne me laissoit de liberté que pour faire quelques questions. Devisant de la sorte, nous rencontrâmes toute la généralité qui revenoit. Nous les joignîmes, et tout aussitôt les deux maréchaux, M. le Duc, M. le prince de Conti, le prince de Tingry, Albergotti, Puységur s’écartèrent, mirent pied à terre et y furent une bonne demi-heure à causer, on peut ajouter à pester ; après quoi ils remontèrent à cheval et chacun poursuivit son chemin.

M. le duc de Chartres revint plus tard, et nous ne nous y amusâmes pas pour arriver encore à temps, moi toujours seul avec M. le prince de Conti, et ne cessant de nous entretenir d’un événement si étrange et si peu attendu. Arrivés chez le roi, nous trouvâmes la surprise peinte sur tous les visages, et l’indignation sur plusieurs. On servit presque aussitôt après. M. le prince de Conti monta pour prendre congé, et comme le roi descendoit le degré qui tomboit dans la salle du souper, le duc de La Trémoille me dit de monter au-devant du roi pour prendre congé aussi. Je le fis au milieu du degré. Le roi s’arrêta à moi et me fit l’honneur de me souhaiter une heureuse campagne. Le roi à table, je rejoignis M. le prince de Conti et nous remontâmes à cheval. Il étoit extrêmement poli et avec discernement. Il me dit qu’il avoit une permission à me demander, qui ne seroit pas trop honnête : c’étoit de descendre chez M. le Prince à qui il vouloit dire adieu, et franchement un peu causer avec lui, et cependant de vouloir bien l’attendre. Il fut environ trois quarts d’heure avec lui. En revenant au camp, nous ne fîmes que parler de cette nou-