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TILLY DÉFAIT.

velle qui n’avoit éclaté que ce jour-là même, et le roi et Monseigneur partirent le lendemain pour Namur, d’où Monseigneur s’en alla en Allemagne, et le roi, accompagné des dames, retourna à Versailles pour ne revenir plus sur la frontière.

L’effet de cette retraite fut incroyable jusque parmi les soldats et même parmi les peuples. Les officiers généraux ne s’en pouvoient taire entre eux, et les officiers particuliers en parloient tout haut avec une licence qui ne put être contenue. Les ennemis n’en purent ni n’en voulurent contenir leur surprise et leur joie. Tout ce qui revenoit des ennemis n’étoit guère plus scandaleux que ce qui se disoit dans les armées, dans les villes, à la cour même par des courtisans, ordinairement si aises de se retrouver à Versailles, mais qui se faisoient honneur d’en être honteux, et on sut que le prince d’Orange avoit mandé à Vaudemont qu’une main qui ne l’avoit jamais trompé lui mandoit la retraite du roi ; mais que cela étoit si fort qu’il ne la pouvoit espérer ; puis, par un second billet, que sa délivrance étoit certaine, que c’étoit un miracle qui ne se pouvoit imaginer, et qui étoit le salut de son armée et des Pays-Bas, et l’unique par qui il pût arriver. Parmi tous ces bruits le roi arriva avec les dames, le 25 juin, à Versailles.

M. de Luxembourg, allant, le 14 juillet, reconnoître un fourrage de l’abbaye d’Heylesem où il étoit campé, fut averti de la marche de Tilly avec un corps de cavalerie de six mille hommes pour se poster en lieu d’incommoder ses convois. Là-dessus notre général fit monter à cheval dans la nuit quarante-quatre escadrons de sa droite, qui en étoit la plus à portée, avec des dragons, et marcha à eux avec les princes. On ne put arriver sur eux que le matin, parce que, avertis par un moine d’Heylesem, ils avoient monté à cheval : on les trouva sur une hauteur avec des ravines devant eux. Marsin, le chevalier du Rosel, et Sanguinet, exempt des gardes du corps, les attaquèrent par trois en-