Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/167

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des ennemis de plus de trente millions. On prit aussi deux gros vaisseaux de guerre et on en coula bas deux autres. Coetlogon brûla les vaisseaux Anglois qui s’étoient retirés à Gibraltar.

Cependant les régiments vacants de Neerwinden furent donnés. Tous les capitaines du Royal-Roussillon avec Puyrobert, lieutenant-colonel à leur tête, m’étoient venus offrir d’écrire pour me demander, et le major, frère de notre maréchal de camp, s’y joignit ; ils me citèrent deux exemples où cela avoit réussi. Ils me pressèrent, et quoique je me sentisse fort flatté et à la sortie d’une grande action, je persévérai à leur en témoigner ma reconnoissance sans accepter leur offre. Je regardai ce régiment comme la fortune du chevalier de Montfort dont le frère l’avoit acheté. J’en écrivis à M. de Beauvilliers, et je pressai infiniment M. le duc de Chartres, qui commandoit la cavalerie, de le demander pour lui, qui me le fit espérer sans s’y engager tout à fait, pour se débarrasser de pareilles prières pour les autres régiments. Morstein, qui étoit bien avec lui, me dit devant lui qu’il se doutoit bien qui auroit ce régiment, et fut honteux de ce que M. de Chartres lui répondit. Praslin le demanda et l’obtint par Barbezieux qui étoit son ami. J’avois su qu’il le demandoit, je le lui avois dit et en même temps mes désirs pour notre major. Le jour que M. de Chartres le vint faire recevoir, Praslin vint m’éveiller, dîna chez moi, s’y tint toute la journée, et y soupa. Lui et le chevalier de Montfort se firent merveilles. M. le comte de Toulouse eut son régiment. D’Achy qui n’en eut point en fut outré et ne voulut ni voir Praslin ni en entendre parler. Je fis l’impossible pour le ramener de cette folie ; il la poussa jusqu’à ne vouloir manger ni chez moi ni à ma halte, qu’il ne fût bien assuré que ce dernier n’y seroit pas, quoiqu’il n’oubliât rien pour l’apprivoiser. Non seulement j’eus tout lieu de me louer de ce nouveau mestre de camp, mais l’amitié et la confiance se mirent entre nous et n’ont fini qu’avec lui.