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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/186

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pour vocation, et qui n’est rien moins et très-souvent que préparation aux plus cuisants regrets d’avoir renoncé à ce qu’on ignore et qu’on se peint délicieux, pour se confiner dans une prison de corps et d’esprit qui désespère ; à quoi j’ajoutai celle du bien et des exemples de vertu que sa fille trouveroit dans sa maison.

Le duc me parut profondément touché du motif de mon éloquence. Il me dit qu’il en étoit pénétré jusqu’au fond de l’âme, qu’il me répétoit, et de tout son cœur, ce qu’il m’avoit déjà dit, qu’entre M. le comte de Toulouse et moi, s’il lui demandoit sa fille, il ne balanceroit pas à me préférer, et qu’il ne se consoleroit de sa vie de me perdre pour son gendre. Il prit l’état de mon bien pour examiner avec Mme de Beauvilliers tout ce qu’ils pourroient faire tant sur le bien que sur le couvent : « Mais si c’est sa vocation, ajouta-t-il, que voulez-vous que j’y fasse ? Il faut en tout suivre aveuglément la volonté de Dieu et sa loi, et il sera le protecteur de ma famille. Lui plaire et le servir fidèlement est la seule chose désirable et doit être l’unique fin de nos actions. » Après quelques autres discours nous nous séparâmes.

Ces paroles si pieuses, si détachées, si grandes, dans un homme si grandement occupé, augmentèrent mon respect et mon admiration, et en même temps mon désir, s’il étoit possible. Je contai tout cela à Louville, et le soir j’allai à la musique à l’appartement, où je me plaçai en sorte que j’y pus toujours voir M. de Beauvilliers, qui étoit derrière les princes. Au sortir de là je ne pus me contenir de lui dire à l’oreille que je ne me sentois point capable de vivre heureux avec une autre qu’avec sa fille, et, sans attendre de réponse, je m’écoulai. Louville avoit jugé à propos que je visse Mme de Beauvilliers, à cause de la confiance entière de M. de Beauvilliers en elle, et me dit de me trouver le lendemain chez elle, porte fermée, à huit heures du soir. J’y trouvai Louville avec elle ; là, après les remerciements, elle me dit sur le bien et sur le couvent à peu près les mêmes raisons,