Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/209

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procureur général. Labriffe, maître des requêtes, si brillant, se trouvoit accablé du poids de cette grande charge, et n’y fut pas longtemps sans perdre la réputation qui l’y avoit placé. Accoutumé à être l’aigle du conseil, Harlay en prit jalousie, et prit à tâche de le contrecarrer; l’autre, plein de ce qui l’avoit si rapidement porté, voulut lutter d’égal, et ne tarda pas à s’en repentir. Il tomba dans mille panneaux que l’autre lui tendoit tous les jours, et dont il le relevoit avec un air de supériorité qui désarçonna l’autre. Il sentit son foible à l’égard du premier président en tout genre ; il se lassa des camouflets que l’autre ne lui épargnoit point, et peu à peu il devint soumis et rampant. C’étoit sa situation lorsqu’il fut question de ses conclusions. Tout abattu qu’il étoit, il ne manquoit point d’esprit ; mais la crainte et la défiance avoient pris le dessus. Il sentit où penchoit le premier président, et il n’osa le choquer, de sorte que M. de Luxembourg eut ses conclusions comme et quand il les voulut. Nos productions n’étoient pas faites, rien n’étoit donc en état, et Labriffe avoit promis aux ducs de La Trémoille et de La Rochefoucauld de les attendre, comme il étoit de règle et de droit, lorsque M. de Luxembourg, qui les regardoit comme un premier coup de partie, se vanta de les avoir favorables et en effet les fit voir. C’étoit un autre pas de clerc puisqu’elles devoient être remises au greffe cachetées, et que personne ne devoit savoir quoi que ce soit de ce qu’elles contenoient. M. de Chaulnes voulut au moins s’en venger. Dès que notre premier factum fut imprimé, il le porta à Labriffe et lui dit que c’étoit sans intérêt, puisque tout le monde savoit ses conclusions données, et en faveur de M. de Luxembourg ; mais que notre procès ne pouvant être que curieux en soi et célèbre au parlement, il avoit voulu lui apporter notre premier mémoire tout mouillé encore de l’impression, dans la lecture duquel il croyoit qu’il ne seroit pas fâché de se délasser en ses heures perdues, et dans lequel il apprendroit des faits, et