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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/223

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et que je n’avois pas encore appris qu’entre gens comme nous, il ne fût pas permis d’employer une juste défense contre une attaque dont les moyens l’étoient si peu ; que, content pour moi-même d’avoir donné à tout ce qu’étoit M. de Luxembourg tout ce que mon âge lui devoit, je ne songerois plus qu’à donner aussi à ma préséance et à mon union à mes confrères tout ce que je leur devois, sans m’arrêter plus à des ménagements si mal reçus. J’ajoutai qu’il le pouvoit dire à M. de Luxembourg, et je quittai Cavoye sans lui laisser le loisir de la repartie.

Le roi soupoit alors, et je fis en sorte de m’approcher de sa chaise et de conter cette courte conversation et ce qui y avoit donné lieu à Livry, parce qu’il étoit tout auprès du roi ; ce que je ne fis que pour en être entendu d’un bout à l’autre, comme je le fus en effet ; et de là je la répandis dans le monde. Les ducs opposants, et principalement MM. de La Trémoille, de Chaulnes et de La Rochefoucauld, me remercièrent de m’être expliqué de la sorte, et je dois à tous, et à ces trois encore plus, cette justice, qu’ils me soutinrent en tout et partout et firent leur affaire de la mienne avec une hauteur et un feu qui fit taire beaucoup de gens, et qui par M. de La Rochefoucauld surtout me servit fort bien auprès du roi. Au bout de quelques jours je m’aperçus que M. de Luxembourg, lorsque je le rencontrois, ne me rendoit pas même le salut. Je le fis remarquer, et je cessai aussi de le saluer, en quoi, à son âge et en ses places, il perdit plus que moi, et fournit par là aux salles et aux galeries de Versailles un spectacle assez ridicule.