Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/246

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étoit passé. Je n’avois donc point signé la lettre commune, ni écrit en particulier. Ma surprise fut donc grande de voir arriver ce second courrier chez moi avec une lettre de M. de Rohan, par laquelle il expliquoit ses prétendues raisons de demeurer à Moret, et me prioit de faire ses excuses. J’envoyai aussitôt cette lettre à l’assemblée qui se tenoit pour attendre la réponse. À sa lecture l’indignation fut grande ; on ne put plus douter de la défection préméditée, et on admira avec raison qu’un homme d’esprit comme M. de Rohan nous sacrifiât, et son honneur même, à une réconciliation personnelle dont il se flattoit par là avec le premier président, duquel l’orgueil ne lui pardonneroit jamais les bassesses qu’il lui avoit fallu faire pour se délivrer de ce procès.

Le coup manqué de la sorte, nous nous tournâmes à d’autres moyens. Ce fut d’allonger par celui des ducs d’Uzès et de Lesdiguières. Ce dernier étoit un enfant sous la tutelle de sa mère, espèce de fée, demeurant presque toujours seule dans un palais enchanté, et sur qui presque personne n’avoit aucun crédit. M. de Chaulnes qui la voyoit quelquefois s’offrit de lui parler, et il en obtint la reprise de son fils avec nous, au lieu du feu duc son père, qui n’avoit pas encore été faite. De M. d’Uzès je m’en chargeai, et il voulut bien se joindre à nous sous prétexte que si ces anciennes pairies renaissoient ainsi de leurs cendres, il s’en trouveroit d’antérieures à son érection, qu’il avoit intérêt d’empêcher d’avance de pouvoir se mettre en prétention.

Cependant nous cherchions avec soin les moyens de récuser le premier président, lorsque son dépit nous les fournit lui-même. Nous vivions avec lui en attendant comme s’il l’étoit déjà. Magneux et Aubry, intendants de MM. de La Trémoille et de La Rochefoucauld, également habiles et attachés à leurs martres, et vifs sur notre affaire, étoient par là devenus odieux au premier président ; il n’avoit pu s’en cacher, nous le savions, et par cela même jamais il