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JE VAIS À L'ARMÉE D'ALLEMAGNE.

cellent officier général et qui méritoit toute cette confiance. M. de Chaulnes alla en son gouvernement de Bretagne ; le duc d’Aumont, bien qu’en année de premier gentilhomme de la chambre, à Boulogne ; le maréchal d’Estrées, au pays d’Aunis, Saintonge et Poitou ; et le maréchal de Tourville commanda l’armée navale, le comte d’Estrées une moindre et à ses ordres en cas de jonction dont Tourville demeura le maître.

J’allai voir à Soissons mon régiment assemblé. Je l’avois dit au roi qui me parla longtemps dans son cabinet et me recommanda la sévérité, ce qui fut cause que j’en eus dans cette revue plus que je n’aurois fait sans cela. J’avois été voir les maréchaux de Lorges et de Joyeuse qui étoient revenus chez moi. J’étois bien avec le second ; la probité de l’autre me plaisoit, de sorte que je me trouvai aussi content d’aller, en cette armée que je me serois trouvé affligé de servir en Flandre. Je partis enfin pour Strasbourg où je fus surpris de la magnificence de cette ville et du nombre, de la grandeur et de la beauté de ses fortifications.

J’eus le plaisir d’y revoir un de mes anciens amis : c’étoit le P. Wolf que j’envoyai d’avance quêter en cinq ou six maisons de jésuites là autour, et qu’on trouva à Haguenau, où il étoit recteur. Il avoit été compagnon du P. Adelman, confesseur de Mme la Dauphine, et comme dès ma jeunesse je savois et parlois parfaitement l’allemand, on prenoit soin de me procurer des connoissances allemandes, et ces deux-là m’avoient fort plu. À la mort de Mme la Dauphine on les envoya en Alsace ; mais on leur défendit d’aller plus loin. Le P. Adelman ne se put tenir d’aller revoir sa patrie. Cela fut trouvé si mauvais, que, pour conserver sa pension du roi, il fut obligé de s’en aller à Nîmes, et de se confiner en Languedoc, où il mourut. Le P. Wolf, plus sage, s’étoit tenu en Alsace, et y demeura toujours.

Nous fîmes quelques repas à la mode du pays dans la belle maison de M. Rosen, avec qui j’avois fait amitié la