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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/290

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dangereux, fut averti de l’envoi de Genlis et du jour de son départ, et sut de plus qu’il devoit arriver droit au roi, et que surtout il avoit défense de le voir en tout. Là-dessus il prit un parti hardi, il fit attendre Genlis aux approches de Paris, et se le fit amener chez lui à Versailles sans le perdre un moment de vue. Quand il le tint, il le cajola tant et sut si bien lui faire sentir la différence pour sa fortune de l’amitié de M. de Noailles, quelque accrédité qu’il fût, d’avec celle du secrétaire d’État de la guerre et de sa sorte et de son âge, qu’il le gagna au point de l’embarquer dans la plus noire perfidie, de ne voir le roi qu’en sa présence et de lui dire tout le contraire de sa commission. Barbezieux lui prescrivit donc tout ce qu’il voulut après avoir tiré de lui tout ce dont il étoit chargé, et en fut pleinement obéi. Par ce moyen le projet du siège de Barcelone fut entièrement rompu sur le point de son exécution, et avec toutes les plus raisonnables apparences d’un succès certain, et sans crainte d’aucuns secours, dans l’état des forces de l’Espagne sur cette frontière comme abandonnée depuis leur défaite ; et M. de Noailles demeuré chargé auprès du roi de toute l’iniquité et du manquement d’une telle entreprise, par cette précaution-là même qu’il avoit prise de ne donner qu’une simple lettre de créance, en sorte que tout ce que dit Genlis, directement opposé à ce dont il étoit chargé, n’eut point de contradicteur, et passa en entier pour être de M. de Noailles et pour son propre fait. On peut croire que Barbezieux ne perdit pas de temps à expédier les ordres nécessaires pour dissiper promptement tous les préparatifs, et de procurer à la flotte ceux de regagner Toulon. On peut juger aussi quel coup de foudre ce fut pour M. de Noailles, mais l’artifice avoir si bien pris qu’il ne put jamais s’en laver auprès du roi ; on en verra les suites qui servirent de base à la grandeur de M. de Vendôme.

Vers ce temps-ci la capitation[1] fut établie. L’invention et la

  1. La capitation était un impôt personnel, payé par tête (caput), comme l’indique le mot capitation, sans distinction de rang ni de condition. Les