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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/307

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ÉCHANGE FORCÉ

gouvernements. Pour l’adoucir au duc de Chaulnes qui y perdoit tout, et pour tirer le duc de Chevreuse qu’il aimoit de l’état fâcheux où il avoit mis ses affaires, à force de s’y croire habile et de vastes projets qui l’avoient ruiné, le roi voulut lui donner en même temps la survivance de la Guyenne, comme au neveu, à l’ami et à l’héritier du duc de Chaulnes et de son même nom, à qui il avoit substitué tous ses biens par son contrat de mariage, c’est-à-dire au second fils qui en naîtroit, en cas que lui-même mourût sans enfants ; et il n’en a jamais eu.

Le roi fit entrer un matin le duc de Chaulnes dans son cabinet, lui dora la pilule au mieux qu’il put, et toutefois conclut en maître. M. de Chaulnes, surpris et outré au dernier point, n’eut pas la force de rien répondre. Il dit qu’il n’avoit qu’à obéir, et sortit incontinent du cabinet du roi les larmes aux yeux. Il s’en alla tout de suite à Paris, et il éclata contre le duc de Chevreuse, qu’il ne douta point avoir eu toute la part et peut-être fourni au roi une invention à lui si utile. La vérité étoit pourtant que le duc ni la duchesse de Chevreuse n’en avoient rien su qu’en même temps que M. de Chaulnes.

Celui-ci ne voulut pas voir son neveu ni sa nièce, et Mme de Chaulnes, si accoutumée à être la reine de la Bretagne, et qui y étoit aussi passionnément aimée, s’emporta plus encore que son mari. Ni l’un ni l’autre ne cachèrent leur douleur, tellement que je dis au duc de Chaulnes que je ne lui ferois aucun compliment, mais que je les porterois tous à M. de Chevreuse. Il m’embrassa et me témoigna me savoir gré de sentir ainsi pour lui. On fut longtemps à les apaiser l’un et l’autre. À la fin, M. de Beauvilliers et d’autres amis communs obtinrent de M. et de Mme de Chaulnes de vouloir bien recevoir M. et Mme de Chevreuse. La visite se fit et fut très-sèchement reçue. Jamais on ne put ôter de leur esprit que M. de Chevreuse n’eût rien contribué à cet échange forcé, et jamais ni lui ni Mme de Chevreuse ne