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DE GOUVERNEMENTS.

purent fondre à leur égard les glaces de M. et de Mme de Chaulnes.

Les Bretons furent au désespoir. Tous le montrèrent par leurs lettres, leurs larmes et leurs discours : tout ce qu’il y en avoit à Paris ne bougea de l’hôtel de Chaulnes, avec plus d’assiduité encore qu’à l’ordinaire, et M. et Mme de Chaulnes, touchés de cet amour si général et si constant, étoient de plus en plus profondément affligés. Ils ne s’en consolèrent ni l’un ni l’autre et ne le portèrent pas loin. Le roi envoya chez lui à Versailles les trois enfants de France, et sur cet exemple personne ne se dispensa de le visiter. Il reçut ses compliments avec une triste politesse. Il ne permit pas au courtisan de cacher l’homme pénétré de douleur, et il s’enfuit à Paris le soir même.

Cela s’étoit déclaré à l’issue du lever du roi. Monsieur, qui s’éveilloit beaucoup plus tard, l’apprit en tirant son rideau, et en fut extrêmement piqué. M. le comte de Toulouse vint peu après le lui dire lui-même. Il l’interrompit et devant beaucoup de monde qui étoit à son lever. « Le roi, lui dit-il, vous a fait là un beau présent. Il témoigne combien il vous aime ; mais je ne sais s’il s’accorde bien avec la bonne politique. » Monsieur alla ce même jour chez le roi à son ordinaire, qui étoit entre le conseil et le petit couvert, seul dans son cabinet. Là il ne put contenir ses reproches de le tromper par un troc forcé qui prévenoit une vacance prochaine, et la disposition du gouvernement de Bretagne pour M. le duc de Chartres. Le roi dont en effet ç’avoit été le motif se laissa gronder, content d’avoir rempli ses vues. Il essuya la mauvaise humeur de Monsieur tant qu’il voulut ; il savoit bien le motif de l’apaiser. Le chevalier de Lorraine fit sa charge accoutumée ; et quelque argent pour jouer et pour embellir Saint-Cloud effaça bientôt le chagrin du gouvernement de Bretagne.

M. d’Elbœuf, voyant ce grand vol des bâtards, fit un tour de courtisan le vendredi saint de cette année. Les Lorrains