Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/317

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n’étoit rien qu’il n’eût tenté par leurs affaires pour se remettre en quelque confiance avec le roi, sans avoir pu y réussir. Il se flatta qu’en épousant une fille d’un général d’armée il pourroit faire en sorte de se mettre entre le roi et lui, et par les affaires du Rhin s’initier de nouveau, et se rouvrir un chemin à succéder à son beau-père dans la charge de capitaine des gardes qu’il ne se consoloit point d’avoir perdue.

Plein de ces pensées, il fit parler à Mme la maréchale de Lorges, qui le connoissoit trop de réputation et qui aimoit trop sa fille pour entendre à un mariage qui ne pouvoit la rendre heureuse. M. de Lauzun redoubla ses empressements, proposa d’épouser sans dot, fit parler sur ce pied-là à Mme Frémont et à MM. de Lorges et de Duras, chez lequel l’affaire fut écoutée, concertée et résolue par cette grande raison de sans dot, au grand déplaisir de la mère ; qui à la fin se rendit, par la difficulté de faire sa fille duchesse comme l’aînée à qui elle vouloit l’égaler. Phélypeaux, qui se croyoit à portée de tout, la vouloit aussi pour rien à cause des alliances et des entours, et la peur qu’en eut Mlle de Quintin la fit consentir avec joie à épouser le duc de Lauzun qui avoit un nom, un rang et des trésors. La distance des âges et l’inexpérience du sien lui firent regarder ce mariage comme la contrainte de deux ou trois ans, tout au plus, pour être après libre, riche et grande dame, sans quoi elle n’y eût jamais consenti, à ce qu’elle a bien des fois avoué depuis.

Cette affaire fut conduite et conclue dans le plus grand secret. Lorsque M. le maréchal de Lorges en parla au roi : « Vous êtes hardi, lui dit-il, de mettre Lauzun dans votre famille ; je souhaite que vous ne vous en repentiez pas. De vos affaires vous en êtes le maître ; mais pour des miennes, je ne vous permets de faire ce mariage qu’à condition que vous ne lui en direz jamais le moindre mot. »

Le jour qu’il fut rendu public, M. le maréchal de Lorges