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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/318

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m’envoya chercher de fort bonne heure, me le dit et m’expliqua ses raisons : la principale étoit qu’il ne donnoit rien, et que M. de Lauzun se contentoit de quatre cent mille livres, à la mort de M. Frémont, si autant s’y trouvoit outre le partage de ses enfants, et faisoit après lui des avantages prodigieux à sa femme. Nous portâmes le contrat à signer au roi, qui plaisanta M. de Lauzun et se mit fort à rire, et M. de Lauzun lui répondit qu’il étoit trop heureux de se marier, puisque c’étoit la première fois, depuis son retour, qu’il l’avoit vu rire avec lui. On pressa la noce tout de suite, en sorte que personne ne put avoir d’habits. Le présent de M. de Lauzun fut d’étoffes, de pierreries et de galanteries, mais point d’argent. Il n’y eut que sept ou huit personnes en tout au mariage, qui se fit à l’hôtel de Lorges à minuit. M. de Lauzun voulut se déshabiller seul avec ses valets de chambre, et il n’entra dans celle de sa femme qu’après que tout le monde en fut sorti, elle couchée et ses rideaux fermés, et lui assuré de ne trouver personne sur son passage.

Il fit le lendemain trophée de ses prouesses. Sa femme vit le monde sur son lit à l’hôtel de Lorges où elle et son mari devoient loger, et le jour suivant nous allâmes à Versailles, où la nouvelle mariée fut présentée par Mme sa mère chez Mme de Maintenon, et de là prit son tabouret au souper. Le lendemain elle vit toute la cour sur son lit, et tout s’y passa comme à mon mariage. Celui du duc de Lauzun ne trouva que des censeurs. On ne comprenoit ni le beau-père ni le gendre ; les raisons de celui-ci ne se pouvoient imaginer ; celle de sans dot n’étoit reçue de personne ; et il n’y avoit celui qui ne prévit une prochaine rupture de l’humeur si connue de M. de Lauzun. En revenant à Paris, nous trouvâmes au Cours presque toutes les filles de qualité à marier, et cette vue consola un peu Mme la maréchale de Lorges, ayant ses filles dans son carrosse qu’elle venoit d’établir en si peu de temps toutes deux.