Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxviii
INTRODUCTION.

et qu’il faut, quand on est chrétien, penser à mieux. La politique craintive de Fleury aida à lui redoubler le conseil. L’évêque de Fréjus, dans une visite à Mme de Saint-Simon, lui fit entendre qu’on saurait son mari avec plus de plaisir à Paris qu’à Versailles. Saint-Simon pensait trop haut pour ce ministère à voix basse que méditait Fleury. Il ne se le fit pas dire deux fois, et dès ce moment il renonça à la Cour, vécut plus habituellement dans ses terres et s’occupa de la rédaction définitive de ses Mémoires. Il ne mourut qu’en 1755, le 2 mars, à quatre-vingts ans.

Il tournait depuis longtemps le dos au nouveau siècle, et il habitait dans ses souvenirs. Il mourut quand Voltaire régnait, quand l’Encyclopédie avait commencé, quand Jean-Jacques Rousseau avait paru, quand Montesquieu ayant produit tous ses ouvrages venait de mourir lui-même. Que pensait-il, que pouvait-il penser de toutes ces nouveautés éclatantes ? On a souvent cité un mot dédaigneux sur Voltaire, qu’il appelle Arouet, « fils d’un notaire qui l’a été de mon père et de moi… » On en a conclu un peu trop vite, à mon sens, le mépris de Saint-Simon pour les gens de lettres et les gens d’esprit qui n’étaient pas de sa classe. Saint-Simon, dans ses Mémoires, se montre bien plus attentif qu’on ne le suppose à ce qui concerne les gens de lettres et les gens d’esprit de son temps ; mais ce sont ceux du siècle de Louis XIV ; c’est Racine, c’est La Fontaine, c’est La Bruyère, c’est Despréaux, c’est Nicole, il n’en oublie aucun à la rencontre. Il a sur Bossuet de grandes paroles, sur Mme de Sévigné il en a d’une grâce et d’une légèreté délicieuse. Il sait rappeler au besoin cette vieille bourgeoise du Marais si connue par le sel de ses bons mots, Mme Cornuel. Tels sont les gens d’esprit aux yeux de Saint-Simon. Quant à Voltaire, il en parle, il est vrai, comme d’un aventurier d’esprit et d’un libertin : on en voit assez les raisons sans les faire, de sa part, plus générales et plus injurieuses à la classe des gens de lettres qu’elles ne le sont en effet.