Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxix
INTRODUCTION.

On a remarqué comme une chose singulière que tandis que Saint-Simon parle de tout le monde, il est assez peu question de lui dans les Mémoires du temps. Ici encore il est besoin de s’entendre. De quels Mémoires s’agit-il ? Il y en a très-peu sur la fin du règne de Louis XIV. Saint-Simon alors était fort jeune et n’avait aucun rôle apparent : son principal rôle, c’était celui qu’il se donnait d’être le champion de la Duché-Pairie et le plus pointilleux de son Ordre sur les rangs. C’est ainsi qu’on lit dans une des lettres de Madame, mère du Régent :

« En France et en Angleterre, les ducs et les lords ont un orgueil tellement excessif qu’ils croient être au-dessus de tout ; si on les laissoit faire, ils se regarderoient comme supérieurs aux princes du sang, et la plupart d’entre eux ne sont pas même véritablement nobles (Gare ! voilà un autre excès qui commence). J’ai une fois joliment repris un de nos ducs. Comme il se mettoit à la table du roi devant le prince des Deux-Ponts, je dis tout haut “D’où vient que monsieur le duc de Saint-Simon presse tant le prince des Deux-Ponts ? A-t-il envie de le prier de prendre un de ses fils pour page ?” Tout le monde se mit si fort à rire qu’il fallut qu’il s’en allât. »

Si un jour il se publie des Mémoires sur la Régence, si les Mémoires politiques du duc d’Antin et d’autres encore qui doivent être dans les archives de l’État paraissent, il y sera certainement fort question de Saint-Simon.

Saint-Simon, à qui ne le voyait qu’en passant et à la rencontre dans ce grand monde, devait faire l’effet, je me l’imagine aisément, d’un personnage remuant, pressé, mystérieux, échauffé, affairé, toujours dans les confidences et les tête-à-tête, quelquefois très-amusant dans ses veines et charmant à de certaines heures, et à d’autres heures assez intempestif et incommode. Le maréchal de Belle-Isle le comparait vieux, pour sa conversation, au plus intéressant et au plus agréable des dictionnaires. Après sa retraite de la Cour, il venait quelquefois à Paris, et allait en visite chez la duchesse de La Vallière ou la duchesse de Mancini (toutes deux Noailles) : là, on raconte que, par une liberté de vieil-