Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/324

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venir, et beaucoup plus, qu’il avoit envoyé en même temps, et sans attendre aucune réponse, chercher M. de Vendôme à Nice pour lui remettre le commandement de son armée ; et ce qui acheva de lever toutes les voiles, c’est qu’on sut incontinent après qu’il lui avoit remis des lettres patentes de général de l’armée, qu’il n’avoit pu recevoir d’ici, et que peu après il avoit pris le chemin du retour.

Les princes du sang sentirent le coup dans toute sa force ; mais les apparences avoient été gardées, en sorte qu’ils furent réduits au silence. M. de Noailles arriva et fut reçu comme son adresse le méritoit. Il fit l’estropié de rhumatisme, et le joua longtemps, mais il lui échappoit quelquefois de l’oublier et de faire un peu rire la compagnie. Il se fixa pour toujours à la cour, où il fut en pleine faveur, et y gagna beaucoup plus qu’il n’eût pu espérer de la guerre, au grand dépit de Barbezieux qui eut à compter avec M. de Vendôme, lequel, secouru de M. du Maine, ne le laissa pas broncher à son égard.

Tout le monde partit pour les armées. Celle du Rhin ne tarda pas à le passer ; mais à peine étions-nous sur le prince Louis de Bade et en état d’entreprendre, que M. le maréchal de Lorges tomba extrêmement malade, le lundi 20 juin, au camp d’Unter-Neishem, sa droite appuyée à Bornhsall et les ennemie retranchés à Eppingen. On manquoit de fourrages, parce que ce n’étoit pas un lieu à demeurer et qu’il n’y en avoit guère dans le voisinage. L’armée, qui toujours en est si avide, pensa moins à elle qu’à son général. Tous les majors de brigade eurent ordre de demander instamment qu’on ne décampât point, et jamais armée ne montra tant d’intérêt à la vie de son chef, ni d’amour pour sa personne. Il fut à la dernière extrémité, tellement que les médecins qu’on avoit fait venir de Strasbourg désespérant entièrement de lui, je pris sur moi de lui faire prendre des gouttes d’Angleterre ; on lui en donna cent trente en trois prises : celles qu’on mit dans des bouillons n’eurent aucun effet ; les autres dans du