Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vin d’Espagne réussirent. Il est surprenant qu’un remède aussi spiritueux et qui n’a rien de purgatif ait mis ceux qui avoient été donnés en si grand mouvement, et qui depuis plus de vingt-quatre heures qu’on les donnoit, n’avoient eu aucun effet. L’opération fut douce mais prodigieuse, par bas ; la connoissance revint et peu à peu le pourpre parut partout. Cette éruption fut son salut, mais non la fin de la maladie.

Cependant l’armée souffroit beaucoup ; le maréchal de Joyeuse qui en avoit pris le commandement nous exposa son état, à moi et aux neveux de M. le maréchal de Lorges. Il nous dit que quoi qu’il pût arriver, il ne prendroit aucun parti que de notre consentement, et en usa en homme de sa naissance avec toutes sortes de soins et d’égards. L’armée, informée qu’il s’agissoit de prendre un parti, déclara par la bouche de tous ses officiers, qui nuit et jour assiégeoient la maison du malade, qu’il n’y avoit point d’extrémité qu’elle ne préférât au moindre danger de son chef, et ne voulut jamais qu’on fit le moindre mouvement.

Le prince Louis de Bade offrit par des trompettes toutes sortes de secours, de médecins et de remèdes, et sa parole de toute la sûreté et de tous les soulagements de vivres et de fourrages pour le général, pour ce qui demeureroit auprès de lui, et pour l’escorte qui lui seroit laissée si l’armée s’éloignoit de lui, avec l’entière sûreté pour la rejoindre ou aller partout où il voudroit, avec tous ses accompagnements, sitôt qu’il le voudroit. Il fut, remercié comme il le méritoit de ces offres si honnêtes, dont on ne voulut point profiter.

Peu à peu la santé se fit entièrement espérer, et l’armée d’elle-même en fit éclater sa joie par des feux de joie à la tête de tous les camps, dés tables qui y furent établies, et des salves qu’on ne put jamais empêcher. On ne vit jamais un témoignage d’amour si universel ni si flatteur. Cependant Mme la maréchale de Lorges étoit arrivée à Strasbourg, puis