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INTRODUCTION.

désespérée de ne pouvoir pas vous faire lire les Mémoires de Saint-Simon : le dernier volume, que je ne fais qu’achever, m’a causé des plaisirs infinis ; il vous mettrait hors de vous. » Je le crois bien que ces Mémoires de Saint-Simon vous mettent hors de vous ; ils vous transportent au cœur d’un autre siècle. Voltaire sur sa fin avait, dit-on, formé le projet « de réfuter tout ce que le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires encore secrets, avait accordé à la prévention et à la haine. » Voltaire, en cela, voyait où était le défaut de ces redoutables Mémoires, et aussi, en les voulant infirmer à l’avance, il semblait pressentir où était le danger pour lui, pour son Siècle de Louis XIV, de la part de ce grand rival, et que, lorsque de tels tableaux paraîtraient, ils éteindraient les esquisses les plus brillantes qui n’auraient été que provisoires.

À partir de 1784, la publicité commença à se prendre aux Mémoires de Saint-Simon, mais timidement, à la dérobée, par anecdotes décousues et par morceaux. De 1788 à 1791, puis plus tard en 1818, il en parut successivement des extraits plus ou moins volumineux, tronqués et compilés. La marquise de Créquy, à propos d’une de ces premières compilations, écrivait à Sénac de Meilhan[1] (7 février 1787) « Les Mémoires de Saint-Simon sont entre les mains du censeur ; de six volumes on en fera à peine trois et c’est encore assez. » Et, un peu plus tard (25 septembre 1788) : « Je vous annonce que les Mémoires de Saint-Simon paraissent, mais très-mutilés, si j’en juge par ce que j’ai vu en trois gros tapons verts, et il y en avoit six. Mme de Turpin mourut, j’en demeurai là, cela est mal écrit, mais le goût que nous avons pour le siècle de Louis XIV nous en rend les détails précieux. »

Il est curieux de voir comme chacun s’accorde à dire que c’est mal écrit, que les portraits sont mal faits, en ajoutant

  1. Lettres inédites de la marquise de Créquy à Sénac de Meilhan, qui sont sous presse (Potier, libraire-éditeur).