Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/401

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nuel, et comme les vues d’ambition ne le retenoient plus, il ne résista plus à ses fantaisies. Plaintes vagues, caprices, scènes pour rien, lettres ou d’avis ou de menaces, humeurs continuelles. Enfin il prit son temps que M. le maréchal de Lorges avoit le bâton à Marly pour M. le maréchal de Duras, il sortit le matin de l’hôtel de Lorges, manda à sa femme de le venir trouver dans la maison qu’il avoit gardée ; joignant l’Assomption, rue Saint-Honoré, et qu’elle auroit un carrosse ; sur les six heures, pour y aller désormois demeurer avec lui. Quoique tout eût dû préparer à cette dernière scène, ce furent des cris et des larmes de la mère et de la fille qui crioient fort inutilement : il fallut obéir. Elle fut reçue chez M. de Lauzun par les duchesses de Foix et du Lude, parentes et amies de M. de Lauzun, qui lui donna toute une maison nouvelle, renvoya le soir même tous ses domestiques, et lui présenta deux filles dont il connoissoit la vertu, et qu’il avoit connues à Mme de Guise, pour ne la jamais perdre de vue. Il lui défendit tout commerce avec père et mère et tous ses parents, excepté Mme de Saint-Simon, avec qui même il fut rare dans les premiers temps, et l’amusa de ce qu’il put de compagnies qui ne lui étoient point suspectes. Après les premiers jours d’affliction et d’étonnement, l’âge et la gaieté naturelle prirent le dessus et servirent bien dans les suites à supporter des caprices continuels et peu éloignés de la folie. M. le maréchal de Lorges prit mieux patience que Mme sa femme ; c’étoit son cœur qui lui étoit arraché, une fille pour qui elle n’avoit pu cacher ses continuelles préférences. Le roi fut instruit de cet éclat assez modérément par M. le maréchal de Lorges, beaucoup plus fortement appuyé par M. de Duras ; mais le roi, qui n’avoit jamais approuvé ce mariage, non plus que le public, et qui n’entroit jamais dans les affaires de famille, ne voulut point se mêler de celle-ci. Le monde tomba fort sur M. de Lauzun, et plaignit fort sa femme et le père et la mère, mais personne n’en fut surpris.