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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/449

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Trappe pour l’attitude, les habits et le bureau même tel qu’il étoit, et il partit le lendemain avec la précieuse tête qu’il avoit si bien attrapée et si parfaitement rendue, pour l’adapter à Paris sur une toile en grand, et y joindre le corps, le bureau et tout le reste. Il fut touché jusqu’aux larmes du grand spectacle du chœur et de la communion générale de la grand’messe le jour de la Toussaint, et il ne put refuser au père abbé une copie en grand pareille à mon original. Il fut transporté de contentement d’avoir si parfaitement réussi d’une manière si nouvelle et sans exemple, et dès qu’il fut à Paris, il se mit à la copie pour lui et à celle pour la Trappe, travaillant par intervalles aux habits et au reste de ce qui devoit être dans mon original. Cela fut long, et il m’a avoué que de l’effort qu’il s’étoit fait à la Trappe, et de la répétition des mêmes images qu’il se rappeloit pour mieux exécuter les copies, il en avoit pensé perdre la tête, et s’étoit trouvé depuis dans l’impuissance pendant plusieurs mois de travailler du tout à ses portraits. La vanité l’empêcha de me tenir parole malgré les mille écus que je lui fis porter le lendemain de son arrivée à Paris. Il ne put se tenir avec le temps, c’est-à-dire trois mois après, de montrer son chef-d’œuvre avant de me le rendre, et par là de rendre mon secret public. Après la vanité vint le profit qui acheva de le séduire, et par la suite, il a gagné plus de vingt-cinq mille livres en copies, de son propre aveu, et c’est ce qui fit la publicité. Comme je vis que c’en étoit fait, je lui en commandai moi-même après lui avoir reproché son infidélité, et j’en donnai quantité.

Je fus très-fâché du bruit que cela fit dans le monde, mais je me consolai par m’être conservé pour toujours une ressemblance si chère et si illustre, et avoir fait passer à la postérité le portrait d’un homme si grand, si accompli et si célèbre. Je n’osai jamais lui avouer mon larcin ; mais, en partant de la Trappe, je lui en laissai tout le récit dans une lettre par laquelle je lui en demandois pardon. Il en fut