Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
lii
INTRODUCTION.

mouvements que leur ambition a causés, et les vices et les défauts qui se sont déployés dans les cabales et les intrigues de leur temps ? Se taira-t-on M. le Prince pour éviter ses révoltes et leurs accompagnements ; M. de Turenne et ses proches pour ne pas voir les plus insignes perfidies les plus immensément récompensées ? Et vivant parmi la postérité de ce qui a figuré dans ces temps dont je parle, s’exposera-t-on avec le moindre sens à ignorer d’où ils viennent, d’où leur fortune, quels ils sont, et aux grossiers et continuels inconvénients qui en résultent ? N’aura-t-on nulle idée de Mme de Montespan et de ses funestes suites, de peur de savoir les péchés de leur élévation ? N’en aura-t-on point aucune de Mme de Maintenon et du prodige de son règne, de peur des infamies de ses premiers temps, de l’ignominie et des malheurs de sa grandeur, des maux qui en ont inondé la France ? Il en est de même des personnages qui ont figuré sous ce long règne, et de ses fertiles événements dont le long gouvernement a changé toute l’ancienne face du royaume. Demeurera-t-on, par obligation de conscience, sans oser s’instruire des causes d’une si funeste mutation, dans le scrupule d’y découvrir l’intérêt et les ressorts de ces grands ministres qui, sortis de la boue, se sont faits les seuls existants et ont renversé toutes choses ? Enfin se cachera-t-on jusqu’au présent pour ne point voir les désordres personnels d’un régent, les forfaits d’un premier ministre, les barbaries et l’imbécillité du successeur, les faussetés, les bévues, l’ambition sans bornes les crimes de celui qui vient de passer, dont la jalousie et l’insuffisance plongent aujourd’hui l’État dans la situation la plus dangereuse, et dans la plus ruineuse confusion ? Qui pourroit résister à un problème si insensé, je dis si radicalement impossible ? Qui n’en seroit pas révolté ? Ces scrupuleux persuaderont-ils que Dieu demande ce qui est opposé à lui-même puisqu’il est lumière et vérité, c’est-à-dire que l’on s’aveugle en faveur du mensonge, de peur de voir la vérité ;