Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
[1692]
COMMENCEMENTS DE L'ABBÉ DUBOIS.

prince pour lui aider à préparer ses leçons, à écrire ses thèmes, à le soulager lui-même, à chercher les mots dans le dictionnaire. Je l’ai vu mille fois dans ces commencements, lorsque j’allois jouer avec M. de Chartres. Dans les suites Saint-Laurent devenant infirme, Dubois faisoit la leçon, et la faisoit fort bien, et néanmoins plaisant au jeune prince.

Cependant Saint-Laurent mourut et très-brusquement. Dubois, par intérim, continua à faire la leçon ; mais depuis qu’il fut devenu presque abbé, il avoit trouvé moyen de faire sa cour au chevalier de Lorraine et au marquis d’Effiat, premier écuyer de Monsieur, amis intimes, et ce dernier ayant aussi beaucoup de crédit sur son maître. De faire Dubois précepteur, cela ne se pouvoit proposer de plein saut ; mais ses protecteurs, auxquels il eut recours, éloignèrent le choix d’un précepteur, puis se servirent des progrès du jeune prince pour ne le point changer de main, et laisser faire Dubois ; enfin ils le bombardèrent précepteur. Je ne vis jamais homme si aise ni avec plus de raison. Cette extrême obligation, et plus encore le besoin de se soutenir, l’attacha de plus en plus à ses protecteurs, et ce fut de lui que le chevalier de Lorraine se servit pour gagner le consentement de M. de Chartres à son mariage.

Dubois avoit gagné sa confiance ; il lui fut aisé en cet âge, et avec ce peu de connoissance et d’expérience, de lui faire peur du roi et de Monsieur, et, d’un autre côté, de lui faire voir les cieux ouverts. Tout ce qu’il put mettre en œuvre n’alla pourtant qu’à rompre un refus ; mais cela suffisoit au succès de l’entreprise. L’abbé Dubois ne parla à M. de Chartres que vers le temps de l’exécution ; Monsieur étoit déjà gagné, et dès que le roi eut réponse de l’abbé Dubois, il se hâta de brusquer l’affaire. Un jour ou deux auparavant, Madame en eut le vent. Elle parla à M. son fils de l’indignité de ce mariage avec toute la force dont elle ne manquoit pas, et elle en tira parole qu’il n’y consentiroit point. Ainsi faiblesse envers son précepteur, faiblesse envers sa mère,