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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/126

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craindre. Mme de Maintenon étoit pleine jusqu’à répandre. Il lui échappoit des imprudences dans les particuliers ; elle en lâchoit à Mme la duchesse de Bourgogne, et quelquefois devant des dames du palais. Elle savoit que la comtesse de Roucy n’avoit jamais pardonné à M. de Beauvilliers d’avoir été pour M. d’Ambres contre elle dans un procès où il y alloit de tout pour sa mère et pour elle, et qu’elle gagna. L’orage grondoit ; les courtisans s’en aperçurent ; les envieux osèrent pour la première fois lever la tête : Mme de Roucy, âpre à la vengeance, et plus encore à faire bassement sa cour à Mme de Maintenon, ne perdoit point de moments particuliers, et en remportoit toujours quelque chose, et elle en triomphoit assez pour avoir l’imprudence de me le confier, quoiqu’elle n’ignorât pas ma liaison intime, tant la haine a d’aveuglement. Je recueillois tout avec soin ; je le conférois en moi-même avec d’autres connoissances ; j’en raisonnois avec Louville à qui Pomponne, ami intime des deux ducs, se déploroit ouvertement, et apprenoit tout ce qu’il découvroit.

Louville, à ma prière, avoit plus d’une fois parlé à M. de Beauvilliers ; M. de Pomponne, de son côté, ne s’y étoit pas oublié, et tout avoit été inutile. Il ignoroit ce dernier et extrême danger ; personne n’avoit osé lui en montrer le détail ; il ne le voyoit qu’en gros. Je me résolus donc à le lui faire toucher, et à ne lui rien cacher de tout ce que j’avois découvert et que je viens d’écrire.

J’allai donc le trouver, j’exécutai mon dessein dans toute son étendue, et j’ajoutai, comme il étoit vrai, que le roi étoit fort ébranlé. Il m’écouta sans m’interrompre et avec beaucoup d’attention. Après m’avoir remercié avec tendresse, il m’avoua que lui, son beau-frère et leurs femmes s’apercevoient depuis longtemps de l’entier changement de Mme de Maintenon, de celui de la cour, et même de l’entraînement du roi. J’en pris occasion de le presser d’avoir moins d’attachement, au moins en apparence, pour ce qui l’exposoit si fort, de montrer plus de complaisance, et de parler au roi.