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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/274

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plus recherché. Elle et son amie, Mlle d’Outrelaise, qui ont passé leur vie logées ensemble à l’Arsenal, étoient des personnes dont il falloit avoir l’approbation ; on les appeloit les Divines. J’en ai dit quelque chose à propos du nom d’Orondat du vieux Villars. Un si aimable homme et une femme si merveilleuse ne duroient pas aisément ensemble ; ainsi, le mari n’eut pas de peine à se résoudre d’aller vivre et mourir à Québec, plutôt que mourir de faim ici, en mortel auprès d’une Divine.

Presque en même temps, on perdit le célèbre Racine, si connu par ses belles pièces de théâtre. Personne n’avoit plus de fonds d’esprit, ni plus agréablement tourné ; rien du poète dans son commerce, et tout de l’honnête homme, de l’homme modeste, et sur la fin, de l’homme de bien. Il avoit les amis les plus illustres à la cour, aussi bien que parmi les gens de lettres : c’est à eux à qui je laisse d’en parler mieux que je ne pourrois faire. Il fit, pour l’amusement du roi et de Mme de Maintenon, et pour exercer les demoiselles de Saint-Cyr, deux chefs-d’œuvre en pièces de théâtre : Esther et Athalie, d’autant plus difficiles qu’il n’y a point d’amour, et que ce sont des tragédies saintes, où la vérité de l’histoire est d’autant plus conservée que le respect dû à l’Écriture sainte n’y pourroit souffrir d’altération. La comtesse d’Ayen et Mme de Caylus sur toutes excellèrent à les jouer, devant le roi et le triage le plus étroit et le plus privilégié chez Mme de Maintenon. À Saint-Cyr, toute la cour y fut plusieurs fois admise, mais avec choix. Racine fut chargé de l’histoire du roi, conjointement avec Despréaux, son ami. Cet emploi, ces pièces, dont je viens de parler, ses amis lui acquirent des privances. Il arrivoit même quelquefois que le roi n’avoit point de ministres chez Mme de Maintenon, comme les vendredis, surtout quand le mauvais temps de l’hiver y rendoit les séances fort longues ; ils envoyoient chercher Racine pour les amuser. Malheureusement pour lui, il étoit sujet à des distractions fort grandes.