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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/275

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Il arriva qu’un soir qu’il étoit entre le roi et Mme de Maintenon, chez elle, la conversation tomba sur les théâtres de Paris. Après avoir épuisé l’opéra, on tomba sur la comédie. Le roi s’informa des pièces et des acteurs, et demanda à Racine pourquoi, à ce qu’il entendoit dire, la comédie étoit si fort tombée de ce qu’il l’avoit vue autrefois, Racine lui en donna plusieurs raisons, et conclut par celle qui, à son avis, y avoit le plus de part, qui étoit que, faute d’auteurs et de bonnes pièces nouvelles, les comédiens en donnoient d’anciennes, et entre autres ces pièces de Scarron, qui ne valoient rien et qui rebutoient tout le monde. À ce mot, la pauvre veuve rougit, non pas de la réputation du cul-de-jatte attaquée, mais d’entendre prononcer son nom, et devant le successeur. Le roi s’embarrassa, le silence qui se fit tout d’un coup réveilla le malheureux Racine, qui sentit le puits dans lequel sa funeste distraction le venoit de précipiter. Il demeura le plus confondu des trois, sans plus oser lever les yeux ni ouvrir la bouche. Ce silence ne laissa pas de durer plus que quelques moments, tant la surprise fut dure et profonde. La fin fut que le roi renvoya Racine, disant qu’il alloit travailler. Il sortit éperdu et gagna comme il put la chambre de Cavoye. C’étoit son ami, il lui conta sa sottise. Elle fut telle, qu’il n’y avoit point à la pouvoir raccommoder. Oncques depuis, le roi ni Mme de Maintenon ne parlèrent à Racine, ni même le regardèrent. Il en conçut un si profond chagrin, qu’il en tomba en langueur, et ne vécut pas deux ans depuis. Il les mit bien à profit pour son salut. Il se fit enterrer à Port-Royal des Champs, avec les illustres habitants duquel il avoit eu des liaisons dès sa jeunesse, que sa vie poétique avoit même peu interrompues, quoiqu’elle fût bien éloignée de leur approbation. Le chevalier de Coislin s’y étoit fait porter aussi, auprès de son célèbre oncle, M. de Pontchâteau. On ne sauroit croire combien le roi fut piqué de ces deux sépultures.

Le duc de La Force, qui mourut dans ce même temps,