Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/29

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qui tenoit pour le prince de Conti, que force Polonois vinrent saluer, et parmi eux Primiski, échanson de la couronne, fort déclaré pour ce parti. L’évêque de Plosko donna un grand repas au prince de Conti, près de l’abbaye d’Oliva, avec tout ce qu’il y eut là de plus distingué des Polonois. Ils burent à la santé de leur roi, qui, n’acceptant pas encore ce titre, leur fit raison à la liberté de la république. Marége, qui étoit à M. le prince de Conti, gentilhomme gascon, et que son esprit et ses saillies avoient fort mêlé avec tout le monde, relevoit à peine d’une grande maladie, lorsqu’il s’embarqua avec son maître. Il étoit à ce repas, où on but à la Polonaise. Il en fut fort pressé, et se défendoit du mieux qu’il pouvoit. M. le prince de Conti vint à son secours, et l’excusa sur ce qu’il étoit malade ; mais ces Polonois, qui, pour se faire entendre, parloient tous latin, et fort mauvais latin, ne se payèrent point de cette excuse, et, le forçant à boire, s’écrièrent en furie : Bibat et moriatur ! Marége, qui étoit fort plaisant et aussi fort colère, n’en sortoit point quand il le contoit à son retour, et faisoit beaucoup rire ceux qui lui en entendoient faire le récit.

Cependant les lettres de nos deux abbés faisoient tout espérer, et celle du prince de Conti tout craindre. Il trouvoit que dix millions ne l’acquitteroient pas des promesses que l’abbé de Polignac avoit faites. C’étoit là-dessus que l’abbé comptoit, et ceux qu’il avoit engagés par là vouloient voir des espèces à bon escient, avant de se comporter de même. Cela arrêta tout court le prince Sapiéha et l’armée de Lituanie qui devoit venir joindre le prince de Conti, qui demeuroit toujours en rade et à bord, bien résolu de ne mettre pied à terre que lorsqu’il verroit des troupes à portée et prêtes à le recevoir ; mais au lieu d’armée, qui ne fit pas une seule marche vers lui, il ne vit que des Polonois avides qui le pressoient d’acquitter les promesses immenses que l’abbé de Polignac leur avoit faites. Le désir de réussir dans cette grande affaire, dont il espéroit la pourpre, l’avoit