Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/291

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avoit communiquées, que Dieu l’aideroit dans tout son voyage, et qu’à une chose secrète qu’il diroit au roi, et que le roi seul au monde savoit, et qui ne pouvoit être sue que de lui, il reconnoîtroit la vérité de tout ce qu’il avoit à lui apprendre. Que si d’abord il ne pouvoit parler au roi, qu’il demandât à parler à un de ses ministres d’État, et que surtout il ne communiquât rien à autres quels qu’ils fussent, et qu’il réservât certaines choses au roi tout seul. Qu’il partit promptement, et qu’il exécutât ce qui lui étoit ordonné hardiment et diligemment, et qu’il s’assurât qu’il seroit puni de mort s’il négligeoit de s’acquitter de sa commission. Le maréchal promit tout, et aussitôt la reine disparut, et il se trouva dans l’obscurité auprès de son arbre. Il s’y coucha au pied ne sachant s’il rêvoit ou s’il étoit éveillé, et s’en alla après chez lui, persuadé que c’étoit une illusion et une folie dont il ne se vanta à personne. À deux jours de là, passant au même endroit, la même vision lui arriva encore, et les mêmes propos lui furent tenus. Il y eut de plus des reproches de son doute et des menaces réitérées, et pour fin, ordre d’aller dire à l’intendant de la province ce qu’il avoit vu, et l’ordre qu’il avoit reçu d’aller à Versailles, et que sûrement il lui fourniroit de quoi faire le voyage. À cette fois, le maréchal demeura convaincu. Mais flottant entre la crainte des menaces et les difficultés de l’exécution, il ne sut à quoi se résoudre, gardant toujours le silence de ce qui lui étoit arrivé.

Il demeura huit jours en cette perplexité, et enfin comme résolu à ne point faire le voyage, lorsque, repassant encore par le même endroit, il vit et entendit encore la même chose, et des menaces si effrayantes qu’il ne songea plus qu’à partir. À deux jours de là, il fut trouver à Aix l’intendant de la province, qui sans balancer l’exhorta à poursuivre son voyage, et lui donna de quoi le faire dans une voiture publique. On n’en a jamais su davantage. Il entretint trois fois M. de Pomponne, et fut chaque fois plus de deux