Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/358

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fond n’apprenoit rien que tout le monde ne sût, et la jalousie de la faveur et de l’éclat du maréchal de Villeroy pouvoit l’avoir excité à lui dire à brûle-pourpoint des vérités si fâcheuses à entendre. J’étois à mille lieues de tout ce que ce pernicieux vieillard pouvoit désirer ou envier, et je ne crois pas qu’un autre en ma place eût pu se défier d’une scélératesse aussi gratuite et aussi complète. Mais il faut achever ce qui regarde l’absence affectée de M. de Bouillon.

Ce n’étoit point le service de l’hommage qui en éloigna M. de Bouillon ; je l’ai expliqué. Mais accoutumé à se couvrir aux audiences des ambassadeurs, depuis que les félonies héréditaires de ses pères, depuis que la faveur d’Henri IV leur eût valu Sedan, avoient acquis le rang de prince à son père au lieu de lui coûter la tête, il ne voulut pas se trouver à une cérémonie où les princes du sang, les bâtards et M. de Lorraine se couvriroient, et où il demeureroit découvert, et c’est ce qui empêcha la maison de Lorraine de s’y trouver et tous les autres qui ont cet avantage. Mais pour entendre cette différence aux mêmes personnes de se couvrir aux audiences des ambassadeurs, et de ne se couvrir jamais en aucune autre occasion, il faut remonter à l’origine de cette distinction.

Anciennement tout le monde étoit couvert devant nos rois à l’ordinaire de la vie, et dans les cérémonies par conséquent, et quand autour du roi quelqu’un avaloit son chaperon[1], les plus près du roi lui faisoient place, parce que c’étoit une marque qu’il vouloit parler au roi. Le changement des chaperons en bonnets, puis en toques, altéra peu à peu cet usage et l’abolit à la fin, tellement que personne

  1. Le chaperon était une coiffure en usage principalement sous les règnes de Jean, Charles V et Charles VI ; elle était en drap bordée de fourrures avec une longue queue qui retombait par derrière. Afaler est un vieux mot synonyme de descendre ou abaisser. On n’ôtait pas toujours son chaperon en parlant aux princes. Monstrelet rapporte que la reine Isabeau, ou Isabelle de Bavière, haïssait Jean Torel, parce qu’en lui parlant il ne seroit point son chaperon.