Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/141

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s’écrie : O culo di angelo ! et courut le baiser. Rien n’avança plus ses affaires que cette infâme bouffonnerie. M. de Parme qui dans sa position avoit plus d’une chose à traiter avec M. de Vendôme, voyant combien Albéroni y avoit heureusement commencé, se servit toujours de lui ; et lui, prit à tâche de plaire aux principaux valets, de se familiariser avec tous, de prolonger ses voyages. Il fit à M. de Vendôme, qui aimoit les mets extraordinaires, des soupes au fromage et d’autres ragoûts étranges qu’il trouva excellents. Il voulut qu’Albéroni en mangeât avec lui, et de cette sorte, il se mit si bien avec lui, qu’espérant plus de fortune dans une maison de Bohèmes et de fantaisies qu’à la cour de son maître, où il se trouvoit de trop bas aloi, il fit en sorte de se faire débaucher d’avec lui, et de faire accroire à M. de Vendôme que l’admiration et l’attachement qu’il avoit conçu pour lui lui faisoit sacrifier tout ce qu’il pouvoit espérer de fortune à Parme. Ainsi il changea de maître ; et bientôt après, sans cesser son métier de bouffon et de faiseur de potages et de ragoûts bizarres, il mit le nez dans les lettres de M. de Vendôme, réussit à son gré, devint son principal secrétaire, et celui à qui il confioit tout ce qu’il avoit de plus particulier et de plus secret. Cela déplut fort aux autres. La jalousie s’y mit au point que, s’étant querellés dans une marche,…[1] le courut plus de mille pas à coups de bâton à la vue de toute l’armée. M. de Vendôme le trouva mauvais, mais ce fut tout ; et Albéroni, qui n’étoit pas homme à quitter prise pour si peu de chose et en si beau chemin, s’en fit un mérite auprès de son maître, qui, le goûtant de plus en plus et lui confiant tout, le mit de toutes ses parties et sur le pied d’un ami de confiance plutôt que d’un domestique, à qui ses familiers, même les plus haut huppés de son armée, firent la cour.

On a vu ce que put sur le roi la naissance de M. de Vendôme ;

  1. Nom en blanc dans le manuscrit.