Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’y demeurer, sans avoir pu parvenir à le voir. De cette époque il se rendit rare à la cour et se tint fort à Paris. Il sortoit souvent seul à des heures bizarres, prenoit un fiacre loin de chez lui, se faisoit mener derrière les Chartreux et en d’autres lieux écartés. Là il mettoit pied à terre, s’avançoit seul, siffloit ; tantôt un grison, sortant d’un coin, lui remettoit des paquets, tantôt ils lui étoient jetés d’une fenêtre, une autre fois il ramassoit une boîte, auprès d’une borne, qui se trouvoit remplie de dépêches. J’ai su dans le temps même ces mystérieux manèges par des gens qu’il eut quelquefois l’indiscrète vanité d’en rendre témoins. Il écrivoit après à Mme de Maintenon et à Mme la duchesse de Bourgogne, mais sur les fins presque uniquement à la dernière par l’entremise de Mme Cantin. Je sais gens, et M. de Lorges entre autres, à qui Maulevrier a extérieurement montré des bottes de ses lettres et des réponses, et lut entre autres une que Mme Cantin lui écrivoit, par laquelle elle tâchoit de l’apaiser sur Mme la duchesse de Bourgogne, et lui mandoit, de sa part, en termes les plus exprès et les plus forts, qu’il devoit toujours compter sur elle.

Il fit un dernier voyage à Versailles où il la vit en particulier et la querella cruellement. Il dîna ce jour-là chez Torcy, avec qui il étoit resté en mesures extérieures, et eut la folie de conter sa rage et sa conversation à l’abbé de Caumartin qu’il y trouva, qui étoit ami intime de Tessé et d’eux tous, et qui me la redit mot pour mot ensuite, et de là s’en alla à Paris. Là, déchiré de mille sortes de rages d’amour qui étoit venu à force de le faire, de jalousie, d’ambition, sa tête se troubla au point qu’il fallut appeler des médecins, et ne le laisser voir qu’aux personnes indispensables, et encore aux heures où il étoit le moins mal. Cent visions lui passoient par la tête. Tantôt, comme enragé, il ne parloit que d’Espagne, que de Mme la duchesse de Bourgogne, que de Nangis qu’il vouloit tuer, d’autres fois le faire assassiner. Tantôt plein de remords sur l’amitié de Mgr le duc de Bourgogne,