Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/239

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les lignes ; que, se retirant ainsi, Turin seroit pris, non par l’armée du duc d’Orléans, non par sa victoire, non par son fait, mais par le siège et les lignes dont La Feuillade avoit eu la direction comme général, et par conséquent n’en partageroit la gloire avec personne. Tel est le vrai fait, qui, soutenu de captieuses raisons, et soutenu de tout le feu d’une bouillante et puissante jeunesse, asservit Marsin et finit par égorger la France. Tel fut l’état des choses pendant les trois derniers jours de ce siège désastreux. Le duc d’Orléans, dépossédé par lui-même, souvent chez soi, quelquefois se promenant, écrivit fortement au roi contre le maréchal, en lui rendant un compte exact de toutes choses, fit lire sa lettre à Marsin, la lui laissa, et le chargea de l’envoyer par le premier courrier qu’il dépêcheroit, n’en voulant plus envoyer lui-même, comme n’étant plus rien dans l’armée.

La nuit du 6 au 7, qui fut le jour de la bataille, quoiqu’il ne se mêlât plus de quoi que ce fût, il ne laissa pas d’être réveillé par un billet qu’on lui apporta d’un partisan qui lui mandoit que le prince Eugène attaquoit le château de Pianezze pour y passer la Doire, qu’il étoit assuré qu’il marcheroit aussitôt après à lui pour l’attaquer. Malgré son dépit et sa résolution, le prince se lève, s’habille à la hâte, va lui-même chez Marsin qui dormoit tranquillement dans son lit, l’éveille, lui montre le billet qu’il venoit de recevoir, lui propose de marcher aux ennemis à l’heure même, de les attaquer, de profiter de leur surprise et d’un ruisseau difficile qu’ils avoient à passer, s’il les trouvoit déjà maîtres du château de Pianezze et en marche pour venir sur lui. La supputation du temps et du chemin n’étoit pas douteuse. Saint-Nectaire, longtemps depuis chevalier de l’ordre, et fort entendu à la guerre, arriva en ce moment de dehors chez Marsin. Il confirma l’avis du partisan et appuya l’avis du prince ; niais il étoit résolu dans les décrets éternels que la France seroit frappée au cœur ce jour même.