Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/298

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Soubise obtint pourtant que le roi demandât quelques délais. Mais c’étoit toujours à recommencer, c’étoit traîner le lien, il falloit une délivrance. À la fin, Mme de Soubise fit tant d’efforts, que le roi fit pour elle ce qu’il n’avoit jamais fait : il s’abaissa à demander grâce au duc de Rohan pour le prince de Guéméné, lui expliquant qu’il ne lui commandoit rien, qu’il n’exigeoit même rien, mais qu’il la lui demandoit comme feroit un particulier, et avec toutes sortes d’honnêtetés, comme un plaisir qui lui seroit sensible. Le duc de Rohan, après avoir bien expliqué au roi ce dont il s’agissoit, et voyant qu’il insistoit toujours, accorda enfin que l’hommage se rendroit pour cette fois par procureur au sien, et répéta bien au roi, et après tout le monde, que c’étoit au roi, non au prince de Guéméné, qu’il l’accordoit.

Mme de Soubise, si heureuse et si accréditée en tout, ne l’étoit pas sur le nom de Rohan. Elle auroit pu se souvenir de la leçon qu’elle avoit reçue là-dessus en Bretagne pour s’épargner celle qui lui fut donnée à Versailles. Il y avoit en Bretagne une branche de la maison de Rohan sortie d’Éon, cinquième fils d’Alain VI, vicomte de Rohan et de Thomasse de La Roche-Bernard sa femme, connue sous le nom de Gué de L’Isle, dont Éon de Rohan avoit épousé l’héritière, puis du Poulduc, depuis que Jean de Rohan, cinquième génération d’Éon, eut dissipé tous ses biens, dont les générations qui suivirent ne purent se relever. Mme de Soubise, mariée en 1663, ne tarda pas à plaire, et, comme on l’a vu (t. II, p. 155 et suiv.), à faire par sa beauté son mari prince, dont la première femme n’avoit jamais été assise ni prétendu l’être. En faveur et en puissance de plus en plus, cette branche de Poulduc lui déplut fort. Sa chute de biens et le médiocre état où elle se trouvoit réduite en Bretagne par des alliances proportionnées à sa décadence, ne permettoient pas à la nouvelle princesse de songer à la poulier[1], au rang

  1. Vieux mot qu’emploie plusieurs fois Saint-Simon dans le sens de hisser avec une poulie. Les précédents éditeurs ont cru devoir le remplacer par le verbe pousser.