Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/340

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retourner, ajouta qu’il ne comprenoit pas comment on envoyoit des gens comme étoit celui-là. « Vous verrez, sire, dit le comte de Grammont, que c’est quelque parent de ministre. » Il n’y avoit guère de jour qu’il ne bombardât ainsi quelqu’un.

Étant fort mal à quatre-vingt-cinq ans, un an devant sa mort, sa femme lui parloit de Dieu. L’oubli entier dans lequel il en avoit été toute sa vie le jeta dans une étrange surprise des mystères. À la fin, se tournant vers elle : « Mais, comtesse, me dis-tu là bien vrai ? » Puis, lui entendant réciter le Pater : « Comtesse, lui dit-il, cette prière est belle, qui est-ce qui a fait cela ? » Il n’avoit pas la moindre teinture d’aucune religion. De ses dits et de ses faits on en feroit des volumes, mais qui seroient déplorables si on en retranchoit l’effronterie, les saillies et souvent la noirceur. Avec tous ces vices sans mélange d’aucun vestige de vertu, il avoit débellé la cour et la tenoit en respect et en crainte. Aussi se sentit-elle délivrée d’un fléau que le roi favorisa et distingua toute sa vie. Il étoit chevalier de l’ordre, de la promotion de 1688.

La Barre mourut en ce même temps, celui dont il a été tant parlé à propos de l’affaire qu’il eut avec Surville et qui perdit ce dernier.

Mourut aussi Mme de Frontenac, dans un bel appartement que le feu duc du Lude, qui étoit fort galant, lui avoit donné à l’Arsenal, étant grand maître de l’artillerie. Elle avoit été belle et ne l’avoit pas ignoré. Elle et Mlle d’Outrelaise qu’elle logeoit avec elle, donnoient le ton à la meilleure compagnie de la ville et de la cour, sans y aller jamais. On les appeloit les Divines. En effet, elles exigeoient l’encens comme déesses, et ce fut toute leur vie à qui leur en prodigueroit. Mlle d’Outrelaise étoit morte il y avoit longtemps. C’étoit une demoiselle de Poitou, de parents pauvres et peu connus, qui avoit été assez aimable, et qui perça par son esprit beaucoup plus doux que celui de son amie, qui étoit impérieux.