Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/357

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

non content d’avoir tant démérité de l’État, du roi et de soi-même, puisqu’il s’étoit perdu sans raison, voulût encore entreprendre des justifications qu’il ne pouvoit douter qui ne lui tournassent à crime, pour peu qu’elles fussent approfondies et qu’il osât le pousser assez pour l’obliger d’en demander justice au roi, qui savoit tout : qu’il vouloit cependant être plus sage que le maréchal, mais qu’il me vouloit faire voir, à moi, les pièces justificatives des faits dont il me demandoit le secret, et me les montreroit dès que nous serions à Versailles. En effet, à peine y fûmes-nous de retour, que j’allai chez lui un soir qu’il soupoit seul dans sa chambre, avec du monde familier autour de lui, comme il avoit accoutumé. Dès qu’il me vit, il me pria de m’approcher de lui, et me dit qu’il alloit me tenir parole. Là-dessus il me donna la clef de son bureau, me dit où je trouverois les dépêches dont il m’avoit parlé, et me pria de passer dans son cabinet et de les lire avec attention.

J’en trouvai trois. Deux minutes du roi au maréchal, et une du maréchal au roi ; celle-là en original et signée de lui. La première du roi portoit : « Que la prudence et la circonspection trop grandes, dont les généraux de ses armées avoient usé depuis quelque temps en Flandre, avoient enflé le courage à ses ennemis, et leur avoient laissé croire qu’on craignoit de se commettre avec eux : qu’il étoit temps de les faire apercevoir du contraire et de leur montrer de la vigueur et de la résolution. Que, pour cela, il avoit mandé au maréchal de Marsin de se mettre en marche de l’Alsace avec le détachement de l’armée du maréchal de Villars (qui étoit là détaillé) et de le joindre. Qu’il lui ordonnoit de l’attendre, et, après leur jonction, d’aller ensemble faire le siège de Lewe, de telle sorte qu’il fût formé des troupes de Marsin, et, si elles ne suffisoient pas, d’un détachement des siennes, le tout commandé par le maréchal de Marsin, tandis qu’avec les siennes il (le maréchal de Villeroy) observeroit les ennemis ; que, pour peu qu’ils fissent mine de s’approcher trop du siège,