Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/111

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y eût. Sa douceur, sa justice, sa probité et sa vertu ne furent pas moindres. Il avoit acquis l’affection et l’estime de toute la marine, et plusieurs actions brillantes lui avoient fait beaucoup de réputation chez les étrangers. Il avoit du sens avec un esprit médiocre, mais fort suivi et appliqué. On fut honteux à la fin de cette espièglerie de brevet de retenue, pour n’en dire pis, et sans lui plus rien demander on lui donna la vice-amirauté. Le duc de Noailles rapporta le brevet de retenue à M. le duc d’Orléans, qui le jeta au feu, et fit donner les cent vingt mille livres aux dépens du roi, que le duc de Noailles fit payer à sa sœur en grand ministre qui ne négligeoit rien. Je dépasserai tout de suite le temps de ces Mémoires sur Coetlogon, en faveur de sa vertu et de la singularité du fait.

M. le Duc, devenu premier ministre sous les volontés de Mme de Prie, sa funeste maîtresse, et tous les deux sous la fatale tutelle des frères Pâris, fit, au premier jour de l’an 1724, une promotion de maréchaux de France et une de chevaliers de l’ordre, toutes deux fort ridicules. Il donna l’ordre à Coetlogon, aussi mal à propos qu’il ne le fit point maréchal de France, au scandale de la marine, de toute la France et de tous les étrangers qui le connoissoient de réputation. Coetlogon en fut vivement touché ; mais, consolé par le cri public, il n’en fit aucune plainte, et s’enveloppa dans sa vertu et dans sa modestie. Quelques années après, étant fort vieux, il se retira dans une des maisons de retraite du noviciat des jésuites, où il ne pensa plus qu’à son salut par toutes sortes de bonnes œuvres. Alors d’Antin et le comte de Toulouse, qui avoit épousé la veuve de son fils, sœur du duc de Noailles, laquelle en avoit eu deux fils, songèrent à faire donner au cadet de ces deux petits-fils de d’Antin tout jeune, la vice-amirauté de Coetlogon, pour, avec l’appui du comte de Toulouse, amiral, son beau-père, voler de là rapidement au bâton de maréchal de France. Ils le proposèrent à Coetlogon, ils lui offrirent tout l’argent qu’il en