Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/373

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royaume depuis tant d’années, on ne peut plaire qu’à mesure qu’on soulage. Les promesses, les excuses, les espérances, jusqu’à l’évidence de l’impossibilité, tout est également usé. On en est réduit à ce point de ne vouloir plus se satisfaire que de réalités présentes et effectives, parce qu’on est réduit à toute espèce d’impuissance qui, par son genre de nécessité, passe par-dessus toute espèce de considération. Les trois états sont presque également sous le pressoir (je dis presque, car il est vrai que le second y est bien plus durement et on bien plus de manières que les deux autres), ne crieront pas moins les hauts cris, et leurs cris ne seront pas moins perçants. La noblesse, accoutumée de tout temps à postposer tout à l’honneur, à tirer tout le sien de son sang, et conséquemment à le verser avec prodigalité pour l’État et pour ses rois, en est moins attachée aux biens, ainsi qu’il n’y paroît que trop. Les deux autres ordres, dont la vertu et les dignités ne s’acquièrent point par les armes, sont plus attentifs : le premier à un bien dont il n’est que dépositaire et qui appartient aux autels ; le troisième à un patrimoine qui fait toute sa fortune, toute son élévation, tout son établissement. Persuadez-vous donc, Monseigneur, que vous ne plairez aux états qu’autant que vous leur donnerez un soulagement actuel, présent, effectif, solide et proportionné à leurs besoins et à leur attente. C’est cette juste attente qui a amorti généralement partout la douleur de la perte du roi.

Vous l’avez promis solennellement et à diverses reprises, depuis que vous tenez les rênes du gouvernement, ce soulagement si nécessaire et si désiré. Jusqu’ici, c’est-à-dire depuis vingt mois, nul effet ne s’en est suivi ; et il ne faut pas vous le taire, tout a été levé avec plus d’exactitude et de dureté que sous le dernier gouvernement, jusque-là que chacun s’en plaint, et avec une comparaison amère. Les provinces en retentissent. Le temps des états deviendra-t-il enfin celui du soulagement ? Vous qui voyez avec tant de pénétration,