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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/41

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qu’il avoit pu à la cour, à Paris, dans les provinces, et jusque dans les pays étrangers. La bénignité, pour ne pas dire l’incurie et l’insensibilité de M. le duc d’Orléans, étoit inébranlable ; mais il ne put disconvenir que nous n’eussions raison d’avoir fait notre requête, et de la lui avoir présentée. Les princes du sang y applaudirent fort ; les bâtards n’en sonnèrent mot. Mme la duchesse du Maine ne put se contenir comme eux, mais elle n’osa pourtant se laisser [aller] au delà des plaintes emportées pour une autre, mesurées pour elle. Nous la laissâmes dire sans lui faire la moindre honnêteté là-dessus. La vérité est que, après ce qui s’étoit passé, nous n’en devions aucune à M. ni à Mme du Maine.

Je fus surpris de la façon dont le maréchal de Villeroy se comporta dans cette affaire avec tout ce dont il se piquoit pour le feu roi, qui ne l’avoit mis auprès de son successeur qu’en faveur des bâtards, et avec toutes ses liaisons avec le duc du Maine. Il fût un des plus ardents pour cette requête, et ne faiblit point dans toute la suite à cet égard. Je ne dissimulerai pas qu’elle me fit peut-être commettre une simonie. Quelques-uns de nous craignoient de signer la requête contre les bâtards, et Rochebonne, évêque-comte de Noyon, plus que pas un. Il me l’avoua, et passa jusqu’à me dire qu’il ne la signeroit point. Il étoit pauvre, jeune, aimoit à dépenser ; je le pris par ce foible. Je lui promis de faire l’impossible, s’il la signoit, pour lui obtenir une grosse abbaye. Il fut combattu ; à la fin il signa, mais sur cette parole Il sut bien m’en sommer depuis ; je la lui tins. Il eut l’abbaye de Saint-Riquier, que j’arrachai du régent à là sueur de mon front. Il me disoit qu’on se moqueroit de lui de donner un si gros morceau à un homme comme M. de Noyon. Je me gardai bien de lui faire confidence de notre marché ; mais j’y mis tout mon crédit, et jamais je n’eus tant de peine. J’en fus récompensé par la satisfaction de m’acquitter, et par la joie de M. de Noyon, qui n’osoit espérer une si forte abbaye, et de tous points si fort à sa bienséance.