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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/425

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avoit envoyé pour cela à Rome un homme obscur, mais capable de se bien informer, qui y passa cinq ou six mois, et qui ne lui rapporta rien de satisfaisant. Il s’en ouvrit, en Hollande, au roi Guillaume, qui le dissuada de son dessein, et qui lui conseilla même d’imiter l’Angleterre, et de se faire lui-même chef de la religion chez lui, sans quoi il n’y seroit jamais bien le maître. Ce conseil plut d’autant plus au czar que c’étoit par les biens et par l’autorité des patriarches de Moscou, ses grand-père et bisaïeul, que son père étoit parvenu à la couronne, quoique d’une condition ordinaire parmi la noblesse russienne.

Ces patriarches dépendoient pourtant de ceux du rite grec de Constantinople, mais fort légèrement. Ils s’étoient saisis d’un grand pouvoir et d’un rang prodigieux, jusque-là qu’à leur entrée à Moscou, le czar leur tenoit l’étrier et conduisoit à pied leur cheval par la bride. Depuis le grand-père de Pierre, il n’y avoit point eu de patriarche à Moscou. Pierre Ier, qui avoit régné quelque temps avec son frère aîné, qui n’en étoit pas capable, et qui étoit mort sans laisser de fils, il y avoit longtemps, n’avoit jamais voulu de patriarche non plus que son père. Les archevêques de Novogorod y suppléoient en certaines choses comme occupant le premier siège après celui de Moscou, mais sans presque d’autorité que le czar usurpa tout entière, et plus soigneusement encore depuis le conseil que le roi Guillaume lui avoit donné, en sorte que peu à peu il s’étoit fait le véritable chef de la religion dans ses vastes États.

Néanmoins la passion de pouvoir ouvrir à sa postérité la facilité de faire des mariages avec des princes catholiques, l’honneur surtout de les allier à la maison de France et à celle d’Autriche, le fit revenir à son premier projet. Il se voulut flatter que celui qu’il avoit envoyé secrètement à Rome n’avoit pas été bien informé, ou qu’il avoit mal compris ; il résolut donc d’approfondir ses doutes, de manière qu’il ne lui en restât plus sur le parti qu’il auroit à prendre.