Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/426

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Ce fut dans ce dessein qu’il choisit le prince Kurakin, dont les lumières et l’intelligence lui étoient connues, pour aller à Rome sous prétexte de curiosité, dans la vue qu’un seigneur de cette qualité s’ouvriroit l’entrée chez ce qu’il y avoit de meilleur, de plus important et de plus distingué à Rome, et qu’en y demeurant, sous prétexte d’en aimer la vie et de vouloir tout voir à son aise et admirer à son gré toutes les merveilles qui y sont rassemblées en tant de genres, il auroit loisir et moyen de revenir parfaitement instruit de tout ce qu’il vouloit savoir. Kurakin y demeura, en effet, trois ans mêlé avec les savants d’une part, et avec la meilleure compagnie de l’autre, d’où peu à peu il tira ce qu’il voulut apprendre avec d’autant plus de facilité que cette cour triomphe de ses prétentions temporelles, de ses conquêtes en ce genre, au lieu de les tenir dans le secret. Sur le rapport long et fidèle que Kurakin en fit au czar, ce prince poussa un soupir en disant qu’il vouloit être maître chez lui, et n’y en pas mettre un plus grand que soi, et oncques depuis ne songea à se faire catholique.

Tels sont les biens que les papes et leur cour font à l’Église, et qu’ils procurent aux âmes dont ce vicaire de Jésus-Christ, qui les a rachetées, est le grand pasteur, et dont sur la sienne il répondra au souverain Pasteur, qui a déclaré à saint Pierre comme aux autres apôtres que son royaume n’est pas de ce monde, et qui demanda à ces deux frères, qui le voulurent prendre pour juge de leur différend sur leur héritage, qui l’avoit établi sur eux en cette qualité ? et qui ne s’en voulut point mêler quoique ce fût une bonne œuvre que d’accorder deux frères, pour enseigner aux pasteurs et aux prêtres par un si grand exemple et si précis, qu’ils n’ont aucun pouvoir ni aucun droit sur le temporel par quelque raison que ce puisse être, et qu’ils sont essentiellement exclus de s’en mêler.

Ce fait du czar sur Rome, le prince Kurakin ne s’en est pas caché. Tout ce qui l’a connu le lui a ouï conter ; j’ai