Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/473

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que Fouquet comptoit sur les galères de cet amiral, et que Neuchèse faillit être compromis dais son procès [1]. Il se tint même caché pendant quelque temps, comme le prouve la lettre suivante, que lui adressoit le duc de Beaufort à la fin d’octobre 1661 : « Monsieur, vous vous tenez fort caché sur tous les bruits qui ont couru à la cour, et les démarches de votre secrétaire sont cause que ces bruits se confirment, Pour moi, comme votre ami, lorsqu’on parle, je réponds des épaules, et je ne sais que dire, puisque vous vous êtes caché de moi comme des autres. Vous êtes bon et sage, mais la Toussaint vous trouve encore non embarqué. Croyez que cela vous fait grand tort, et plus que je ne vous le saurois dire. Remédiez-y promptement [2]. » L’affaire du commandeur de Neuchèse fut étouffée ; mais les lettres que nous venons de citer confirment les soupçons qu’avoit inspirés le plan trouvé à Saint-Mandé, dans la maison de Fouquet. Neuchèse y est indiqué comme s’étant engagé à servir le surintendant envers et contre tous.

D’ailleurs les dilapidations de Fouquet étoient parfaitement établies, et Louis XIV n’avoit que trop de motifs pour le livrer à la rigueur de la chambre de justices ; mais la violence que l’on mit dans la poursuite, les efforts des amis de Fouquet, la pitié qui s’attache naturellement au malheur, la longueur même dû procès, concilièrent peu à peu au surintendant l’opinion publique. On voulut exercer sur les juges, et principalement sur l’un des rapporteurs, Olivier d’Ormesson, une influence inique. D’Ormesson lui-même raconte, dans son journal inédit, la démarche que fit Colbert auprès de son père [3] pour se plaindre de la longueur du procès. Voici ce passage important :

« Samedi [3 mai 1664], étant après le dîner avec mon père dans son cabinet, et le P. d’Ormesson [4], auquel je faisois entendre qu’il ne devoit plus avoir aucun commerce avec Berryer [5], parce qu’il abusoit

  1. Un des amis du commandeur de Neuchèse lui écrivait le 19 octobre 1661 : « On vous a servi ici de bonne manière, et en vérité vous en aviez grand besoin. On n’a jamais vu une telle rage que celle de M. Fouquet ; car il a fait tout son possible pour perdre amis et indifférents. À La lettre se termine par le post-scriptum suivant : « Assurément on fera le procès à M. Fouquet. Si vous aviez le temps, on vous pourrait bien mander de venir ici dire votre projet ; mais n’y songez pas, si on ne vous l’ordonne. »
  2. Voy. plus haut, le récit de l’arrestation de Fouquet.
  3. André d’Ormesson, doyen du conseil d’État.
  4. Nicolas Lefèvre d’Ormesson, religieux minime, était frère d’Olivier d’Ormesson.
  5. Berryer, un des commis de Colbert, avait été chargé de l’inventaire des pièces du procès de Fouquet, et accusé de les avoir falsifiées.