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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/482

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pris de tous côtés, demandoit grâce, et on lui accordoit une paix dont on étoit bien sûr de la durée [1].

« Charles XII, avec six mille braves Suédois, gens fort aguerris et enflés de leurs anciennes victoires, descendoient Allemagne, tandis que le czar agissoit aussi avec une armée formidable dans cette même partie de l’Europe, où il a à cœur d’avoir pied. Là on agissoit offensivement contre l’électeur de Hanovre, qui est aussi roi d’Angleterre. On faisoit venir alors le Prétendant [2] en Angleterre, et on le rétablissoit ; ce qui donnoit trop d’ouvrage audit électeur de Hanovre pour lui laisser le temps de se mêler des affaires d’Allemagne. Pour lors on faisoit la loi à l’empereur, à qui on donnoit les affaires que je vais dire : on faisoit éclore les liaisons prises avec l’électeur de Bavière, la maison palatine et les électeurs ecclésiastiques ; on recueilloit toutes leurs prétentions et les griefs du corps germanique, sans augmenter aucunes jalousies entre les catholiques et les protestants, et on renouveloit le traité de Westphalie pour la liberté germanique. Les Turcs étoient déjà en guerre avec l’empereur ; on animoit cette guerre, et on faisoit du prince Ragotsky un roi de Hongrie et de Transylvanie. En même temps l’Espagne descendoit en Italie et y reprenoit le Milanois et les Deux-Siciles, ce qui, comme je l’ai dit, donnoit assez d’ouvrage à l’empereur tout à la fois.

« C’étoit alors l’occasion à la France de paroître ayant armé puissamment jusque-là sans se déclarer ; et pour lui donner part au gâteau et à la dépouille universelle de l’empereur, on nous donnoit les dix provinces des Pays-Bas catholiques [3] ; ce qui rempliroit notre beau dessein de n’avoir au nord et au nord-est que le Rhin pour barrière.

« La puissance de cette ligue et l’affaiblissement total de l’empereur nous vengeoit assez de nos pertes précédentes par le traité d’Utrecht. L’Angleterre, si occupée par le Prétendant et la Hollande, sans l’Allemagne et sans l’empereur, n’osoit nous traverser ; et de plus on garantissoit à M. le duc d’Orléans la future succession de France, si elle venoit à s’ouvrir, et cela par un traité particulier entre elle, la Suède et le czar, sans en avoir rien communiqué avec l’Espagne.

« Charles XII, semblable et surpassant le grand Gustave-Adolphe, au milieu de l’Allemagne avec soixante mille hommes, y faisoit la loi, et tiroit de grandes richesses pour soutenir la guerre de Jutland,

  1. Nous laissons, au texte de d’Argenson, comme à celui de Saint-Simon, les irrégularités grammaticales que d’autres éditeurs ont cru devoir rectifier.
  2. Jacques Stuart qui prenait le nom de Jacques III.
  3. Ces provinces qui répondent à peu près au royaume de Belgique actuel, sont : le Hainaut, la Flandre occidentale, la Flandre orientale, le Brabant méridional, le Brabant septentrional, les provinces d’Anvers, de Namur, de Liège, de Luxembourg, de Limbourg.