Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans le premier ministre. Il assuroit le pape que le secours que Sa Sainteté désiroit, dépendoit absolument de lui, que le projet qu’il avoit fait pour l’envoyer seroit infailliblement exécuté s’il en usait bien à son égard, c’est-à-dire s’il lui envoyoit la barrette. Mais aussi qu’elle ne devoit espérer ni secours contre les Turcs, ni accommodement des différends entre les deux cours, si elle ne donnoit à la reine d’Espagne la satisfaction qu’elle demandoit avec tant de désir et d’ardeur. Il faisoit entendre clairement à ses amis de Rome que c’étoit par ordre qu’il écrivoit si positivement, et il prétendoit en même temps donner par là une preuve de son intime union avec Albéroni, et démentir sur cela les bruits et les gazettes. Albéroni avoit bien des ennemis à Rome, et beaucoup de cardinaux indignés de la prostitution de leur pourpre à un sujet tel que lui. Giudice, qui publioit qu’il s’y en irait bientôt, y remuoit contre lui toutes sortes de machines, et ne gardoit aucunes mesures sur sa personne dans ses discours ni dans ses lettres. Albéroni ripostoit avec le même emportement, et ne cessoit de l’accuser de la plus noire ingratitude envers la reine, d’assurer nettement que la cause de cette princesse et la sienne étoit la même, et que la conduite de Giudice étoit si décriée que Cellamare lui-même n’hésitoit pas là-dessus. Il avoit envoyé à Rome les copies des lettres que Cellamare lui avoit écrites sur la disgrâce de son oncle, et la bassesse de Cellamare avoit été au point d’avoir mandé à plusieurs personnes à Rome, que dans le naufrage de sa maison il avoit tâché de sauver sa petite barque en prenant le bon parti.

Giudice parloit et écrivoit d’Albéroni comme du dernier des hommes. Il se plaignoit aussi d’Aldovrandi, comme ayant parlé contre lui à Rome pour plaire à Albéroni. Ils se reprochoient réciproquement ingratitudes et perfidies, et avoient tous raison à cet égard. Le premier ministre chargeoit Giudice des fâcheux bruits répandus à Madrid contre la reine, et nouvellement d’avoir publié qu’elle avoit fait venir à Madrid