Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/13

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que sa prétention ne feroit que retarder inutilement celle d’Albéroni, et il eut permission pour l’empêcher d’entrer en des engagements avec la France. A. la vérité, il ne s’expliquoit pas sur quoi ni jusqu’où, apparemment pour avoir plus de liberté d’en désavouer Cellamare. Il voyoit une grande facilité à se servir de la flotte promise au pape, pour ses vues particulières sur l’Italie, pendant la guerre du Turc, qui liait les bras à l’empereur. Il comptoit que la France le laisseroit faire, et l’Angleterre et la Hollande aussi, par leur intérêt d’empêcher que Livourne tombât entre les mains de l’empereur. Mais avant de tromper le pape sur l’usage de la flotte, dont l’espérance du secours lui devoit valoir le chapeau, il falloit le tenir bien réellement, à quoi tout délai étoit empêchement dirimant pour le chapeau et pour l’entreprise qu’il méditoit par cette flotte. Telles furent les véritables raisons du subit changement de conduite d’Albéroni qui, après tant d’éclats et de menaces, chercha à se faire un mérite auprès du pape de ce changement même, comme obtenu enfin par lui de Leurs Majestés Catholiques, et de faire partir l’escadre, et de mander Aldovrandi à la cour pour y terminer les différends entre les deux cours, ce qui le porta à faire écrire le roi d’Espagne au pape avec des engagements réitérés, sous la garantie du duc de Parme, pour emporter sa promotion à ce coup, et être libre après de l’emploi de sa flotte, sans avoir plus rien à ménager ni à craindre pour son chapeau.

Il avoit envie de pénétrer le motif du voyage du czar ai Paris, ainsi que toutes les autres puissances. Le comte de Konigseck, ambassadeur de l’empereur, y étoit plus attentif qu’aucun des ministres étrangers. Il pria Vireck, nouvellement rappelé à Berlin, de suivre le czar à Fontainebleau, où Kniphausen, qui le relevoit, alla aussi. Ils y virent Ragotzi entrer en conférence avec le czar, et Ragotzi ne cacha point à Kniphausen que les Turcs le pressoient de se rendre auprès d’eux, et que son dessein étoit d’y aller.